À la recherche du patrimoine chinois en Estrie

Mai marque le Mois du patrimoine asiatique au Canada. L’équipe des Archives nationales à Sherbrooke s’est donné le défi de retrouver des traces témoignant du passage et de la contribution de la communauté chinoise dans sa région. 

Histoire du Québec Sciences sociales et humaines
La devanture d'un restaurant de cuisine chinoise avec des voitures d'époque stationnées devant l'entrée.
Le Café Mee-Ho, du 113 rue Wellington Sud, à Sherbrooke. 6 novembre 1961. Archives nationales à Sherbrooke, Fonds Studio Boudrias, (P21, S2, D1603, P5). Photo : Studio Boudrias.

Vague d’immigration chinoise

Dès le début du XXe siècle, Sherbrooke accueille une petite communauté chinoise. La consultation des recensements de 1901, 1911 et 1921 nous apprend qu’elle est essentiellement masculine. En effet, les Chinois immigrent en petits groupes constitués de membres de la même famille (oncles, neveux, cousins, etc.). Ils se déclarent presque tous mariés, mais les documents révèlent qu’aucune femme ni enfant ne les accompagne ni ne les rejoint.

Nombre d’immigrants chinois sont venus au Canada pour contribuer à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique. La fin des travaux en 1885 force des milliers d’entre eux à chercher un autre travail. Plusieurs membres de la communauté chinoise choisissent de se lancer en affaires. Ces hommes investissent dans deux secteurs bien précis, soit les services de buanderie et la restauration.

Le recensement canadien de 1901[1] est le premier à relever la présence d’Asiatiques à Sherbrooke. À l’époque, six Chinois seulement y habitent[2].

La communauté chinoise prend de l’ampleur au fil des ans. Si bien qu’en 1917, Mark Sing et des associés fondent à Sherbrooke un club strictement réservé aux personnes d’origine chinoise. Avec ses activités récréatives et éducatives, le Canton Club sert aussi à promouvoir l’harmonie et la bonne volonté au sein de la communauté chinoise.

En 1931, la communauté chinoise de Sherbrooke compte 54 membres, avant de connaître un léger déclin durant les décennies suivantes : 28 personnes en 1940, 33 en 1941, 34 en 1961. En 2021, on dénombre 885 d’origine chinoise à Sherbrooke. 

Les buanderies

Pendant le premier quart du XXe siècle, les Chinois occupent avec force un secteur commercial bien précis : les buanderies.

Le registre de l’état civil de 1902 de la Stanstead Plain Methodist Church réserve aux chercheurs toute une surprise en dévoilant une écriture chinoise en marge. Cette inscription, à la fois rare et étonnante, témoigne de la conversion religieuse de Tom Hing. Ce jeune homme né en Chine en 1878 est baptisé 24 ans plus tard chez les méthodistes de Stanstead Plain. Il occupe un emploi dans une buanderie.

À Sherbrooke, l’édifice en face de la gare de l’Union (construite en 1890) est le Chinese Laundry, appartenant à Due Lee et Sam Lee en 1902, et à Ying Lee en 1908. Le service de buanderie est nécessaire aux hôtels qui se trouvent alors à proximité de la gare.

Entre 1902 et 1917, les patronymes Lee, Wong, Yon, Wing, Wah et Sing, pour ne nommer que ces derniers, se retrouvent dans les bottins d’adresses, suivis du terme Laundry. En 1920, Sherbrooke compte quatre buanderies chinoises.

En 1906, J. R. Sangster, propriétaire de la buanderie Imperial Laundry, tente d’étendre son marché en ouvrant des points de service dans différentes villes de l’Estrie, telles Richmond, Cookshire, Waterville, Coaticook et Lac-Mégantic. Dans une lettre qu’il envoie à monsieur Blanchard, barbier de Disraeli, il ne cache pas son objectif de concurrencer les buanderies chinoises.

La restauration

Peu après le secteur des buanderies, les Chinois se lancent dans la restauration. À partir des années 1950, plusieurs restaurants de cuisine chinoise font leur apparition à Sherbrooke, notamment le Café Mee Ho, le Nanking Café et le Lee Café Chinese Food. Yen Soon Youn Lee, qu’on aperçoit sur les photos de mariage plus haut, sera propriétaire du Café Nouveau Péking d’Omerville de 1978 à 1983.

Les documents d’archives contiennent de riches informations sur l’arrivée et la vie des gens venus d’ailleurs. Dès le début du XXe siècle, les traces de la communauté chinoise sont visibles et témoignent de l’apport de cette communauté à la société estrienne. 

Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Instantanés de BAnQ, le 25 mai 2016, sous le titre Mois du patrimoine asiatique.

Notes

[1] Les recensements canadiens de 1871 et 1881 ne révèlent aucune présence asiatique. Quant au recensement de 1891, la communauté asiatique est intégrée dans une statistique globale pour toute personne qui n’est pas canadienne-française.

[2] Jean-Pierre Kesteman, Histoire de Sherbrooke, tome 2 : De l’âge de la vapeur à l’ère de l’électricité (1867-1896), p. 91.

Sources consultées

KESTEMAN, Jean-Pierre, Histoire de Sherbrooke, tome 2 : De l’âge de la vapeur à l’ère de l’électricité (1867-1896).

ROY, Julie, Marthe Léger et Annie Dubé, « Histoires d’immigration au XXe siècle dans les archives », À rayons ouverts, no 102, printemps-été 2018, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, p. 5-9.

Statistique Canada, 2023. Profil du recensement, Recensement de la population de 2021, produit nº 98-316-X2021001 au catalogue de Statistique Canada. Ottawa, diffusé le 15 novembre 2023.