Vélo au féminin : promenade dans le temps

Les machines à deux roues ayant comme seul moteur la force humaine voient le jour au début du XIX^e siècle. Il faut attendre la deuxième moitié du même siècle pour voir apparaître les premiers mécanismes de pédaliers, de freins et de pneumatiques, et assister à l’avènement du vélocipède et de la bicyclette moderne des deux côtés de l’Atlantique.

La bicyclette jouit d’une popularité croissante alors que monte la première vague du féminisme, dans les années 1880. La « petite reine » contribue alors à l’émancipation des femmes, que ce soit en stimulant l’innovation au rayon de la mode – avec l’adoption des pantalons – ou en encourageant l’activité physique à l’extérieur du foyer. Un nouveau monde d’indépendance s’ouvre alors à elles grâce au vélo.

L’avis au lecteur de la revue Le Samedi, édition du 4 juillet 1896, précise que « le présent numéro est consacré exclusivement au bicycle. Nous osons croire que le public lui fera bon accueil. » Abondamment illustré, ce spécial vélo fait une large place aux femmes. Parmi les sujets proposés : « L’amour en bicycle (comédie en un acte) », « Une nouvelle application du pneu » et « Bicyclisme aristocratique en Allemagne ». Pour la petite histoire, l’hebdomadaire Le Samedi a paru de 1889 à 1963.

Une des premières athlètes professionnelles a été une cycliste de chez nous : Louise Armaindo, née Brisebois, est une Canadienne française probablement née à Sainte-Anne-de-Bellevue. Tombée dans l’oubli aujourd’hui, cette grande pionnière a laissé assez peu de traces dans son sillage. Heureusement, ses exploits ont été immortalisés dans l’ouvrage Muscle on Wheels, de M. Ann Hall. À la fin du XIX^e siècle, elle s’impose dans plusieurs courses sur son grand bi. 

Quatre femmes de la famille Massue sont photographiées autour d’un vélo, vers 1925. Voulaient-elles partir à l’aventure ou simplement faire un numéro de cirque? Qui sait… À cette époque, la bicyclette constituait encore, en quelque sorte, une curiosité, mais son usage allait croissant.

Le vélo n’est pas considéré ici comme un moyen de transport ou un vecteur d’émancipation pour la femme, mais bien comme un moyen d’atteindre certains standards de beauté féminins. Cet article de La Revue moderne (p. 34) recommande de faire de l’exercice, notamment sur deux roues, pour rester jeune. L’illustration ci-dessus donne à penser que les séances d’entraînement du temps sont les ancêtres des classes de vélo cardio, très populaires aujourd’hui.

La photo ci-dessous est extraite d’une série appelée Rules for Cyclists, signée Conrad Poirier au début des années 1940. Pionnier du photojournalisme, l’auteur présente un groupe de femmes s’initiant à la sécurité à vélo. On remarquera que le casque ne fait pas encore partie des accessoires de rigueur. Son utilisation commencera à se généraliser dans les années 1970.

Le mont Royal est un attrait touristique depuis très longtemps. Ce lieu chouchou est richement illustré par des cartes postales dans la première moitié du XX^e siècle et abondamment photographié. Ici, Herménégilde Lavoie, alors employé de l’Office de tourisme de la Province du Québec, pose son objectif sur deux femmes avec leur vélo. Un bref instant de légèreté tandis qu’au loin, la Deuxième Guerre mondiale fait rage.

Le Cyclo-Tour du Québec s’est tenu au cours des années 1970. On sait assez peu de choses, sinon que son trajet faisait entre 200 et 225 km et qu’il se parcourait sur deux jours. Soulignons aussi le caractère inclusif de l’événement, qui attirait autant des jeunes que des plus vieux qui roulaient pour promouvoir le cyclotourisme. Est-ce l’ancêtre des excursions de Vélo-Québec ou de la Cavalcade en vélo, ce cyclo-tour « mani-festif » et militant qui en sera à sa quatrième édition en 2025?

Est-ce que cette cycliste croquée sur le vif par le photographe de La Presse Armand Trottier feuilletait le journal Le Monde à bicyclette? La majorité des numéros de cette publication sont numérisés et disponibles sur BAnQ numérique (années 1979-1982; années 1983-1999). Découvrez l’effet que ses artisans ont eu sur les avancées du vélo urbain, de la mobilité active et de l’urbanisme à Montréal. En particulier la grande militante Claire Morissette, l’une des fondatrices du groupe, présente jusqu’à sa toute fin en 1999.

Que de kilomètres pédalés par les femmes en un peu plus d’un siècle... Aujourd’hui, la pratique de la bicyclette s’est répandue et démocratisée jusqu’à donner naissance à quantité de groupes cyclistes féminins – certains en mixité choisie¹ comme les Fines Garnottes, Les limettes, Les poules qui roulent, les Cyclopétards ou les Chèvres de montagne. Leur objectif : favoriser l’autonomisation des femmes, par exemple avec des ateliers de mécanique mis à leur disposition, dans un monde du deux roues qui demeure encore très masculin.

• AL-MANSOUR, Haifaa, Wadjda et le vélo vert, Paris, Gallimard jeunnesse, 2017.
• ANCTIL, Gabrielle, Londonderry : un zine cyclo-féministe, Montréal, Anchorage, AK, Les Dérailleuses, 2015-2016, 2 numéros.
• BOUDREAU, Lorraine, La bicyclette rose : récit de l'aventure de 90 filles à vélo. Saint-Alphone-de-Granby, Éditions de la Paix, 1999.
• HALL, M. Ann, Muscle on Wheels: Louise Armaindo and the High-Wheel Racers of Nineteenth-Century America, Montréal, Kingston, London, Chicago, McGill-Queen's University Press, 2018. Version numérique / Version papier.
• MARTHALER, Claude, À tire-d’elles : femmes, vélo et liberté, Genève, Éditions Slatkine, 2016.
• MORISSETTE, Claire, Deux roues, un avenir :- le vélo en ville, Montréal, Éditions Écosociété, 2009.
• ROSS, Hannah, Revolutions: How Women Changed the World on Two Wheels. 2020.
• ROUSSEL, Louise, À vos cycles! Le guide du vélo au féminin. Paris, Tana éditions, 2021.
• VINE, Lady, En danseuse : ces femmes qui révolutionnent le cyclisme. Paris, Amphora, 2022.