Registre de l’état civil de la compagnie du cimetière Saint-Charles, 1918
Registre de l’état civil de la compagnie du cimetière Saint-Charles, 1918. Archives nationales à Québec, fonds Cour supérieure, district judiciaire de Québec, état civil (CE301, S149). Photo : Karen Bilodeau.

Pandémie d’un autre siècle

À la fin de la Première Guerre mondiale, la pandémie de grippe espagnole entraîne le décès de millions de personnes à travers le monde. Le Québec n’y échappe pas, comme en témoignent la presse de l’époque et les registres de l’état civil.

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Registre de l’état civil de Saint-David-de-l’Aube-Rivière, 1918
Registre de l’état civil de Saint-David-de-l’Aube-Rivière, 1918. Archives nationales à Québec, fonds Cour supérieure, district judiciaire de Québec, état civil (CE301, S105).

La Grande Tueuse : des millions de morts sur la planète

La pandémie de grippe espagnole a fait rage entre 1918 et 1920. Le virus à la source de ce désastre sanitaire aurait atteint plus de la moitié de la population mondiale, qui comptait environ 1,83 milliard de personnes à l’époque, et causé de 20 à 100 millions de décès. Contrairement à ce qu’indique son nom, la souche probable du virus proviendrait de la Chine. La diffusion s’est effectuée en trois vagues consécutives, dont seulement deux ont été recensées au Québec : la première à l’automne 1918 et la deuxième à l’hiver 1920. Les militaires qui revenaient de la guerre ont probablement été la cause de l’arrivée de la grippe en territoire canadien.

La grippe espagnole a tué de nombreuses personnes en très peu de temps. Parfois, il suffisait de quelques heures pour qu’un jeune homme en pleine santé succombe à la maladie. Après une courte période d’incubation, des symptômes s’apparentant à ceux de la grippe apparaissaient : maux de tête, douleurs musculaires, fièvre et toux.

Ce virus avait la particularité de cibler de façon plus insidieuse les poumons de certains individus. « Les malades deviennent alors plus vulnérables à des virus ou à des bactéries opportunistes qui causent des problèmes respiratoires variés, tels que la pneumonie et la bronchite1. » Le résultat était souvent fatal, car la réaction du système immunitaire faisait en sorte que les poumons du malade s’emplissaient d’eau.

« Le visage et le corps du malade prennent une teinte bleutée ou noire, symptômes accompagnés d’une toux avec des expectorations de sang ainsi que de saignements nasaux. Ces expressions pathologiques étaient causées par le manque d’oxygène dans le sang du patient. Le décès suivait habituellement cette série d’événements par la production excessive d’eau dans les poumons et pouvait survenir en seulement quelques heures2. »

Les registres de l’état civil : témoins d’une catastrophe sanitaire au Québec

Dans chaque paroisse, les registres de l’état civil témoignent d’événements marquants qui ont façonné l’histoire du Québec depuis la fondation de la Nouvelle-France. On y trouve plusieurs informations inestimables, comme le taux élevé de mortalité infantile au début du 20e siècle, l’âge moyen des décès, qui augmente au fil du temps, et le nombre d’habitants qui ont la capacité de signer. Il s’agit d’un outil unique qui permet de mieux comprendre la réalité des gens qui ont vécu à une autre époque.

Registre de l’état civil de Saint-Étienne-de-la-Malbaie, 1918
Registre de l’état civil de Saint-Étienne-de-la-Malbaie, 1918. Archives nationales à Québec, fonds Cour supérieure, district judiciaire de Saguenay, état civil (CE304, S3).

 

Le cas de la grippe espagnole en est un bon exemple. Dans chaque paroisse, les registres de l’état civil montrent que le nombre de sépultures atteint un nombre record en octobre 1918. Par exemple, au cimetière Saint-Charles à Québec, on dénombre 102 décès en octobre 1917, et 492 pour le même mois l’année suivante : une augmentation de 382 %!

Registre de l’état civil de la compagnie du cimetière Saint-Charles, 1918 (2)
Registre de l’état civil de la compagnie du cimetière Saint-Charles, 1918. Archives nationales à Québec, fonds Cour supérieure, district judiciaire de Québec, état civil (CE301, S149).

À Québec, le virus fait environ 500 morts. Au plus fort de la crise, du 14 au 20 octobre 1918, on compte chaque jour environ 40 victimes. « La tranche de population la plus atteinte est celle comprise entre 20 et 35 ans3. » Les quartiers populaires sont les plus touchés. Dans la capitale québécoise, 80 % des victimes vivent dans les quartiers les plus pauvres, Saint-Sauveur et Saint-Malo, où les mauvaises conditions d’hygiène favorisent la propagation de la maladie4.

C’est le 25 septembre 1918 que la ville de Québec recense son premier cas de grippe :

« L’influenza espagnole, qui exerce ses ravages depuis plusieurs jours dans la région de Québec, a fait son apparition hier dans la population de notre ville. Le premier cas signalé aux autorités a éclaté à l’Hôtel-Dieu, et la victime, un jeune homme, a succombé hier soir. On rapporte que la religieuse qui l’a soigné a été atteinte de la maladie et est en danger. Quatre autres cas ont éclaté dans les familles du quartier Belvédère5. »

Pendant les jours qui suivent, l’épidémie de grippe devient plus intense et s’étend à plusieurs villes de la province. Le manège militaire de Québec est mis en quarantaine à partir du 2 octobre. Le 7 octobre, les autorités de la ville instaurent des mesures de quarantaine plus draconiennes, surnommées la « dictature hygiénique6 ».

Façade du manège militaire à Québec, vers 1900
Façade du manège militaire à Québec, vers 1900. Archives nationales à Québec, fonds J. E. Livernois Ltée (P560, S1, P140). Photographe non identifié.

Les rues des grandes villes sont désertées. Des rubans sont accrochés aux portes des foyers infectés, et il n’est pas rare de constater le décès d’une famille entière. Dès la mi-octobre, sous l’ordre de l’archevêque, les cloches des églises ne retentissent plus pour souligner les décès, afin d’épargner le moral de la population.

L’analyse des registres de l’état civil permet de constater que Baie-Saint-Paul a été particulièrement touchée par l’épidémie de grippe espagnole. On y dénombre 72 décès au cours du mois d’octobre, ce qui représente 44 % des sépultures de cette paroisse pour l’année 1918. En comparaison, en octobre 1917, seulement 8 personnes sont décédées, pour un total de 112 décès sur toute l’année.

Tableau rédigé par Karen Bilodeau
Tableau rédigé par Karen Bilodeau
Registre de l’état civil de Saint-Pierre et Saint-Paul (Baie-Saint-Paul), 1918
Registre de l’état civil de Saint-Pierre et Saint-Paul (Baie-Saint-Paul), 1918. Archives nationales à Québec, fonds Cour supérieure, district judiciaire de Saguenay, état civil (CE304, S1).

 

« Les autorités ont décidé de fermer toutes les écoles, de diminuer autant que possible les services religieux dans les églises, de fermer les lieux d’amusement et d’interdire les assemblées publiques, afin de se prémunir contre les atteintes de la grippe. » (Le Devoir, 7 octobre 1918, p. 3.)

« Comme résultat de la conférence que le maire Lavigueur et les membres du conseil de ville ont eu, ce matin à l’hôtel de ville avec les médecins les plus importants, des suggestions qui seront mises en pratique ont été faites pour enrayer la marche de l’épidémie de grippe qui sévit depuis quelques jours dans nos familles. […] 1- Fermeture de tous les collèges et couvents, écoles, externats dans les limites de la ville; 2- La fermeture des théâtres, des lieux d’amusements, des endroits de rassemblement, de prohiber les réunions de toutes sortes. » (Le Soleil, 7 octobre 1918, p. 12.)

- À venir

Cet article est la version révisée d’un texte publié dans le blogue Instantanés de BAnQ le 31 juillet 2019, sous le titre « Les registres de l’état civil : le cas de la grippe espagnole de 1918 ».

1. Francis Dubois, « La grippe espagnole au Québec, 1918-1920. Essai en géographie de la santé », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, Département de géographie, 2007, p. 11.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 132.
4. Réjean Lemoine, « La grippe espagnole de 1918 à Québec », Cap-aux-Diamants, vol. 1, no 1, printemps 1985, p. 39.

5. Le Devoir, 26 septembre 1918, p. 3.

6. Le Devoir, 10 octobre 1918, p. 3.