Dessin d'un homme assis à une table, utilisant un compas de proportion
Denis Henrion et Jean Deshayes, L’usage du compas de proportion, Paris, chez l'auteur et chez R. J .B. de La Caille, 1681, page frontispice.

Les sciences en Nouvelle-France

En Nouvelle-France, quelques savants ont pratiqué la science sous diverses formes : cartographie, astronomie, botanique, médecine, etc. Certains documents qu’on trouve dans les collections de BAnQ témoignent des préoccupations et des techniques d’observation et d’analyse d’une autre époque.

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Aujourd’hui, au Canada, les sciences sont perfectionnées par une infinité de praticiens hyper spécialisés. La situation était tout autre il y a 300 ou 400 ans, alors qu’une poignée de savants exploraient des domaines en apparence hétéroclites. On pouvait alors être à la fois mathématicien, astronome et hydrographe, ou bien médecin et botaniste.

Cette science « pionnière » dont on trouve quelques traces dans les fonds et collections de BAnQ est essentiellement européenne. Elle n’a laissé qu’une petite place, souvent difficile à déceler, aux observations et aux connaissances autochtones, qui n’ont pas toujours été partagées avec les colons européens.

Si la curiosité est un moteur important de la pratique scientifique, celle-ci se conçoit aussi dans une optique toute coloniale, où il est question d’exploiter un continent et ses ressources pour enrichir le royaume de France. À Paris, des institutions animées par des savants centralisent les connaissances provenant des colonies outre-mer : les Jardins du Roi fondés par Louis XIII (aujourd’hui le Jardin des Plantes, à Paris), l'Académie royale des sciences, fondée en 1666 par Jean-Baptiste Colbert et Louis XIV à l’instigation de quelques savants, l’Observatoire royal terminé en 1683, la Société royale de médecine.

Ces établissements et ceux qui les fréquentent tissent des réseaux élargis de correspondants qui sillonnent le monde pour mener des observations en France et à l’étranger, que ce soit en Afrique, en Orient ou en Amérique. Les savants présents dans les colonies envoient le fruit de leurs expérimentations en Europe. Leurs rapports se trouvent aujourd’hui disséminés un peu partout dans des collections européennes et nord-américaines. 

Cartographie, astronomie et hydrographie

Au XVIe siècle, les navigateurs font appel à des notions d’astronomie et de mathématiques pour se repérer en mer et cartographier les routes maritimes. À cet égard, deux instruments sont particulièrement utiles : la boussole et l’arbalestrille (ou bâton de Jacob). La boussole, qu’on utilise en Europe depuis le XIVe siècle, sert à s’orienter par rapport aux points cardinaux. Constituée de deux tiges de bois graduées et coulissantes, l’arbalestrille permet de mesurer la hauteur du Soleil à son zénith ou la hauteur de l’Étoile polaire pour déterminer la latitude où l’on se trouve.

Samuel de Champlain, Carte géographique de la Nouvelle France, Paris, chez Jean Berjon, 1613. Détail.

Dans son Traitté de la marine, qu’il publie en 1632, Samuel de Champlain rappelle l’importance des cartes géographiques pour la navigation. Outre la boussole et l’arbalestrille, il y décrit le loch, un outil constitué d’un morceau de bois attaché à une corde graduée de nœuds équidistants. Cet objet est jeté à l’eau pendant une période calculée avec un sablier. En comptant le nombre de nœuds qui défilent, on peut estimer la vitesse du navire. Cette technique est d’ailleurs à l’origine de l’unité de mesure de vitesse actuelle en contexte de navigation nautique et aérienne. 

Plus tard dans le siècle, l’astronome, mathématicien et hydrographe Jean Deshayes débarque à Québec. Auteur de traités sur des instruments scientifiques et leur maniement, Deshayes a participé à des travaux de cartographie en France et à des voyages scientifiques en Afrique et dans les Antilles, sous l’égide de l’Académie royale des sciences.

À son arrivée à Québec en 1685, il fait d’abord l’aller-retour au lac Ontario pour cartographier le fleuve à vue d’œil et prendre une dizaine de mesures de latitude. Durant l’hiver, il observe à Québec une éclipse de Lune et calcule l’heure où elle se produit, ce qui lui permet d’estimer a posteriori la longitude de la capitale coloniale. Il parcourt en raquettes la rive sud du fleuve et l’île d’Orléans et compte chacun de ses pas pour estimer la distance parcourue.

Au printemps et à l’été, Deshayes longe en barque la rive nord du fleuve, jusqu’à Sept-Îles puis jusqu’à l’île d’Anticosti. À l’aide d’un instrument mis au point à Paris, il combine ses mesures de latitude à une méthode de triangulation. Cette technique consiste à repérer des objets visibles de loin (clochers d’église, tours, moulins, sommets de montagnes) et à calculer les angles formés par ces lieux. Avec l’aide de l’équipage de la barque, il sonde le fleuve pour en connaître la profondeur aux endroits critiques. Il dresse ainsi une carte du fleuve Saint-Laurent d’une grande exactitude, toujours utile lorsqu’elle est publiée 30 ans plus tard.

Jean Deshayes, De la Grande Rivière de Canada appelée par les Européens de Saint-Laurent, carte géographique, 62 x 97 cm, Paris, chez Nicolas de Fer, 1715. Détail.

Au milieu du XVIIIe siècle, les officiers militaires contribuent aux connaissances cartographiques et astronomiques du Canada dans un contexte de rivalités impériales avec les colonies britanniques. Roland Michel Barrin de La Galissonière coordonne les actions à titre de commandant général de la Nouvelle-France, puis comme chef du Dépôt des cartes et plans de la Marine de France. Des documents gardent la trace de ses instructions aux officiers qui se rendent dans la région des Grands Lacs, par exemple celles de mai 1749 destinées à l’ingénieur Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry (fils). L’officier doit y tenir un journal, y noter ses déplacements, prendre des mesures de hauteur des astres, observer l’éclipse de Lune prévue le 8 août, en consigner l’heure de début et l’heure de fin, mentionner la qualité des terres, les essences des arbres, les obstacles sur les cours d’eau et évaluer les possibilités d’aménagement de havres et de forts. Il pourra également rapporter des échantillons de pierre et des graines de plantes. La Galissonière rédige d’ailleurs, avec le savant Henri-Louis Duhamel du Monceau, un livre intitulé Avis pour le transport par mer, des arbres, des plantes vivaces, des semences, des animaux, et des différents autres morceaux d’histoire naturelle (1752).

Géographes et officiers de marine plaident aussi pour une meilleure connaissance des côtes dans les environs de Louisbourg (située sur l’île du Cap-Breton), région stratégique qui permet de contrôler l’entrée du golfe du Saint-Laurent.

Protégé du réputé astronome Pierre Le Monnier, le jeune officier Joseph Bernard Chabert est désigné pour diriger une expédition dans la région en 1750 et 1751. Les instruments qu’il transporte sont à la fine pointe de la technologie. Il possède par exemple un très bon quart-de-cercle de 2 pieds et demi de rayon, qui permet de mesurer des distances angulaires, ainsi que plusieurs télescopes. Chabert calcule les longitudes avec précision, grâce à l’évaluation des distances entre la Lune et les étoiles. À son retour en France, il publie le livre Voyage fait par ordre du Roi en 1750 et 1751 dans l’Amérique septentrionale pour rectifier les cartes des côtes de l’Acadie, de l’Isle Royale & de l’Isle de Terre-Neuve (1753). Recommandé par l’Académie royale des sciences, l’ouvrage a le mérite de fixer les coordonnées de plusieurs localités sur la côte de l’Amérique du Nord et de rectifier les cartes existantes.

Médecine, botanique, zoologie

Au XVIIIe siècle, les médecins du roi Michel Sarrazin et Jean-François Gaultier œuvrent à Québec comme correspondants de l’Académie royale des sciences. Tous deux s’intéressent à la faune et à la flore du Canada. Ils communiquent leurs observations à des botanistes réputés et à d’autres savants installés à Paris. Certains de leurs écrits sont publiés dans des périodiques scientifiques tels que les Mémoires de l’Académie royale des sciences. Sarrazin étudie notamment le castor, le carcajou, le rat musqué et le phoque. Leurs mémoires sont envoyés à Paris avec des spécimens d’animaux ou de plantes. À la demande de Duhamel du Monceau, Gaultier fournit également, entre 1742 et 1748, une variété de notes botanico-météorologiques : température prise avec un thermomètre, état du ciel, orientation du vent, date de gelée du sol, épidémies d’insectes, etc. Sarrazin et Gaultier ont également laissé de riches manuscrits sur les plantes du Canada
 

Ces quelques exemples témoignent de l’intérêt des savants pour le Canada qui a été, en quelque sorte, un laboratoire pour une science en ébullition.

Cet article est adapté de l’édition papier d’À rayons ouverts numéro 111, publiée en 2023 par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Pour lire l'ensemble du numéro.