La première représentation de la pièce de théâtre Les fées ont soif de Denise Boucher a lieu le 10 novembre 1978. Jugée blasphématoire, l’œuvre est l’objet d’une vive polémique avant même d’être jouée. Parcours d’une controverse.

Il y a de cela 40 ans, le 10 novembre 1978 a eu lieu la première représentation de cette pièce. Jugée blasphématoire, elle est l’objet d’une vive polémique avant même d’être jouée. Jean-Louis Roux, directeur artistique du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), l’inscrit au programme de la saison 1978-1979, mais le Conseil des arts de la région métropolitaine de Montréal (CARMM) refuse de lui accorder une subvention d’environ 15 000 $, jugeant la version préliminaire du texte de la pièce irrecevable. Tout le milieu culturel, incluant les directeurs de théâtre, se ligue alors contre le CARMM pour dénoncer la censure.

Les partisans et les opposants manifestent tour à tour. Plusieurs organismes religieux traduisent en justice le TNM, demandant des injonctions pour empêcher la représentation de la pièce et interdire la diffusion du texte.
Le 4 décembre 1978, la première injonction est refusée, la seconde accordée à titre provisoire. La pièce est finalement présentée le 10 décembre. Malgré le succès retentissant, la tempête ne se calme pas pour autant. La guerre judiciaire se poursuit, car le jugement est porté de nouveau en appel. Le tribunal rend le verdict le 25 janvier 1979 et attribue une victoire totale à Denise Boucher et à Jean-Louis Roux.

Dans l’introduction de la pièce éditée en 1989 par les éditions l’Hexagone, l’écrivaine et critique littéraire québécoise Lise Gauvin écrivait :
« Les fées ont soif font partie de cette décennie, les années soixante-dix, qu’on a coutume de décrire comme celle de l’émergence du féminisme au Québec. » (p. 9).
Elle rapporte également les mots de Denise Boucher lors de la conférence de presse du 7 juin 1978 :
« Je peux bien vous le dire, je crois que je jouis. C’est une chance extraordinaire de connaître ainsi la censure officielle. Ça permet de porter le débat sur la place publique. J’en connais tant des hommes, et tant et tant de femmes dont la censure a été le silence sur leurs œuvres. Censure plus opprimante et plus morbide que toutes les paroles » (p. 22).
Ces mots résonnent encore aujourd’hui comme un écho infini et sans cesse renouvelé. Au 21e siècle, la polémique est toujours bien vivante. Les controverses qui ont entouré les productions des spectacles Kanata et Slāv et celles qui ont suivi l’expression libérée des femmes grâce au mouvement #MoiAussi le prouvent.
Nous vous invitons à découvrir cette affaire qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême, par le biais des journaux de l’époque. Vous trouverez ci-dessous les liens vers une sélection d’articles issus de notre base de revues et journaux québécois numérisés.

- « Les Fées ont soif – Une pièce trop osée ou un cas de censure », La Presse, 5 juin 1978, p. A-6.
- « Les démêlés des « Fées » et du Conseil des arts de Montréal – L’Union des artistes proteste à son tour », La Presse, 20 juin 1978, p. A-17.
- ANDRÈS, Bernard, « les Fées ont soif – MM. les censeurs, coupez les premiers », Le Devoir, 17 novembre 1978, p. 21.
- « Mgr Grégoire dénonce « les fées ont soif »… et avoue ne pas l’avoir vue », Le Soleil, 29 novembre 1978, p. E-9.
- « Une pétition contre la censure », Le Devoir, 8 décembre 1978, p. 19.
- « « Les fées ont soif » : injonction prolongée de dix autres jours par le juge Vallée », Le Soleil, 16 janvier 1979, p. B-6.
- « Les Fées : trois groupes laissent tomber l’appel », La Presse, 3 avril 1979, p. A-12.
- « L’Interdit contre « Les Fées ont soif » est levé », Le Soleil, 25 janvier 1979, p. C-9.
- « Les « Fées » ont soif : la cour délibère », La Presse, 11 octobre 1979, p. A-20.
- « « Les fées ont soif » : injonction encore refusée », Le Soleil, 21 novembre 1979, p. E-9.
- « Les Fées ont soif maintenant en Cour suprême », La Presse, 25 janvier 1980, p. B-7.