un raquetteur en action sur la neige
Raquetteurs, [Vers 1910]-1941, BAnQ Vieux-Montréal, Fonds La Presse, (06M,P833,S3,D830), Photographe non identifié.

Les clubs de raquetteurs de Sherbrooke

Au XIXe siècle, la raquette à neige est une forme de loisir et un moyen de socialisation pour les populations bien nanties du Québec. Clubs privés, compétitions d’adresse, fanfares, la raquette est vraiment l’activité nec plus ultra pour se faire voir! 

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Un moyen de transport adapté au climat d’ici

D’usage courant chez les Premiers Peuples nomades d’Amérique du Nord, la raquette est utilisée à la saison froide pour se déplacer sur la neige sans s’enfoncer. Cette activité traditionnelle est rapidement adoptée par les colons français et anglais qui l’utilisent pour la chasse, la trappe et même la guerre.

À Sherbrooke, le premier club de raquetteurs de loisirs, le Sherbrooke Snowshoe, voit le jour en 1877. Ce club rassemble des anglophones des milieux bourgeois qui partent se promener tous les vendredis soir. En 1885, les Canadiens français créent à leur tour le club Tuque rouge. Plusieurs clubs suivent, notamment le Saint-François en 1888, le Dollard en 1910, le Gounod inc. en 1913 et l’Audacieux en 1944. Ces clubs ont tous pour objectif de tromper l’ennui hivernal.

Un sport qui donne des idées de grandeur

Rapidement, les activités des clubs de raquette dépassent la petite randonnée de groupe de fin de semaine. Les promenades interclubs et interrégionales sont l’occasion d’en mettre plein la vue avec l’organisation de défilés. En 1886 et 1888, Sherbrooke est l’hôte de carnavals d’hiver et les clubs de la ville accueillent ceux en provenance des quatre coins de l’Estrie.

Au tournant du XXe siècle, la raquette perd en popularité au profit du ski et du hockey sur glace. En 1928, le carnaval d’hiver de Sherbrooke revient en force. La pratique de la raquette regagne la faveur du public à partir des années 1930. Le nombre d’adeptes augmente alors que le sport se démocratise et n’est plus seulement l’affaire des milieux plus aisés.

Dans les années 1950, des semaines de sports d’hiver amusent les foules. À l’horaire : randonnées, courses, défilés aux flambeaux et rallyes impliquant des clubs du Québec, mais également de la Nouvelle-Angleterre.

Course de raquetteurs à Sherbrooke, 24 janvier 1965. Archives nationales à Sherbrooke (P5, S2, SS2, D219, P18A). Photo : Jacques Darche.

Des activités sociales parallèles

Les clubs organisent aussi des activités sociales telles que soupers et soirées dansantes avec orchestre. Des chalets ou club-houses sont construits pour les raquetteurs afin qu’ils disposent d’un lieu fixe pour tenir leurs événements. Le bâtiment permet également aux raquetteurs de se réchauffer, souvent à l’aide d’un petit remontant alcoolisé. Les clubs sont aussi impliqués dans des activités de bienfaisance. Le club Dollard, par exemple, a été responsable de la guignolée à Sherbrooke entre 1910 et 1969.

Ces activités permettent, lentement mais sûrement, une plus grande mixité. Dès les années 1880, des clubs de raquette exclusivement féminins voient le jour. Assez rapidement, hommes et femmes participent aux mêmes randonnées et font partie des mêmes clubs. 

Le club l’Audacieux participe à la guignolée, 1968. Archives nationales à Sherbrooke (P21, S2, D3484, P26). Photo : Jean-Paul Boudrias.

Les habits traditionnels utiles et identitaires

Suivant l’exemple du premier club de raquette fondé au Québec, le Montreal Snowshoe Club, chaque groupe adopte un costume composé d’une tuque, d’une ceinture (rappelant la ceinture fléchée), d’une paire de bas en laine tricotée, d’un pantalon et d’un manteau avec capuchon. Le tout doit être léger pour faciliter les mouvements, et chaud pour affronter le climat hivernal.

Au départ, les clubs se différencient uniquement par la couleur de leur tuque. Chaque région a sa propre couleur, ce qui permet de reconnaître la provenance des individus lors de rassemblements. La couleur du club est par la suite appliquée à tout l’uniforme.

Les raquettes aussi sont adaptées. Parmi les Premiers Peuples qui en faisaient l’usage, plusieurs formes de raquettes étaient assemblées selon les différents terrains.  Les clubs de raquetteurs privilégient un modèle long et étroit. La raquette de bois est raccourcie, le devant est légèrement relevé et l’arrière se termine par une queue afin que la raquette reste droite lors de la marche. 

Trois raquetteuses du club l’Audacieux ont marché 22 milles (35 km), de Coaticook à Sherbrooke, 26 janvier 1966. Archives nationales à Sherbrooke (P21, S2, D3484, P13). Photo : Jean-Paul Boudrias.

Au rythme de la musique

S’il est possible de reconnaître un club par les couleurs du costume, on peut aussi y arriver grâce aux chants de ses membres. Chaque club possède son hymne officiel, souvent composé de paroles patriotiques jumelées à des rythmes entraînants. D’autres chansons connues et chantées par tous les clubs sont entendues lors de rassemblements festifs.

Quelques clubs ont même leur fanfare, rappelant la tradition musicale militaire qui incite à marcher au pas. Le club Saint-François est le premier qui inclut clairons et tambours dans son corps musical.

La fanfare du club de raquette Tuque rouge de Sherbrooke, entre 1959 et 1961. Archives nationales à Sherbrooke (P21, S2, D1119, P1). Photo : Jean-Paul Boudrias.

L’exploit de Charles Delorme

Dans son édition du 25 janvier 1963, le journal La Tribune (voir page 13) rapporte cet exploit : « Charles Delorme est arrivé hier à Hartford, au Connecticut, en vue du congrès international des raquetteurs, à la suite d’un voyage de 327 milles [526 km] à pied. Il était parti de Sherbrooke ». Ce voyage lui a pris 14 jours et demi.

En 1966, Charles Delorme, membre du club l’Audacieux, réussit l’exploit une deuxième fois, cette fois dans l’autre sens, de Hartford à Sherbrooke. À son arrivée, il est accueilli par le maire de la ville, Armand Nadeau, et son équipe.

À son retour de Hartford au Connecticut, Charles Delorme, entouré de confrères du club l’Audacieux, reçoit les félicitations du maire de Sherbrooke, Armand Nadeau, 1966. Archives nationales à Sherbrooke (P21, S2, D2417, P1). Photo : Jean-Paul Boudrias.

Ce deuxième périple est réalisé à l’occasion du Congrès national de raquetteurs qui se déroule à Sherbrooke du 25 au 27 février 1966. Cet événement majeur, qui regroupe plus de 1100 raquetteurs originaires du Québec et de la Nouvelle-Angleterre, permet la tenue de plusieurs activités : différentes courses de raquette, des remises de trophées, des parades de jour et de soir réunissant les divers clubs et leurs fanfares, un grand banquet, l’élection de la reine et de ses duchesses ainsi que, pour clôturer l’événement, une messe du dimanche à la basilique-cathédrale Saint-Michel de Sherbrooke.

Si les clubs de raquetteurs ont disparu au fil du temps, cette activité se pratique aujourd’hui en famille ou entre amis. La raquette compte toujours beaucoup d’adeptes. Qui sait, un jour, verrons-nous peut-être ce sport aux Jeux olympiques!

Liens utiles 

Consultez l'histoire de la Fondation du Montreal Snow Shoe Club sur la Ligne du temps de BAnQ.  

E.-Z. Massicotte. Bulletin des recherches historiques (voir pages 197 à 202).