Les belles histoires de Kim Yaroshevskaya

Cette voix qui a fait fleurir l’imaginaire de plusieurs générations d’enfants, on la reconnaîtrait entre toutes. C’est une voix qui chante, même lorsqu’elle parle. La conteuse, scénariste et actrice Kim Yaroshevskaya – qui fut Fanfreluche pour les uns et Grand-Mère pour les autres – a 100 ans.

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Kim Yaroshevskaya devant un micro.
Kim Yaroshevskaya en 2005. Archives nationales à Montréal, fonds Photos/Pro Multi (P742,D13691), Photo : Photos Pro Multi +

De la Russie au Grenier

Née à Moscou le 1er octobre 1923, elle est prénommée Kim en l’honneur du parti Jeunesse internationale communiste, dont le nom en russe a pour acronyme KIM. Son père trotskiste et sa mère anarchiste décèdent quand elle est encore enfant, dans des circonstances qui demeurent floues.

Après un séjour à l’orphelinat, Kim est élevée par sa grand-mère paternelle. Lorsque celle-ci devient trop malade, elle envoie la fillette de 10 ans rejoindre une tante qui vit à Montréal. Kim ne s’exprime alors qu’en russe.

Écoutez Kim Yaroshevskaya parler de son enfance lors d'une entrevue avec la journaliste Isabelle Albert à l’émission En toute liberté, en 1994.

Elle revient aussi sur ses années en Russie et sur son arrivée au Québec dans Mon voyage en Amérique, publié en 2017. En lisant cet ouvrage illustré, on ne peut s’empêcher d’entendre la voix (et le rire) de l’autrice, qui l’a véritablement écrit comme un conte. On peut d’ailleurs la voir lire un extrait du livre dans cette vidéo. Certes, sa voix est moins assurée que dans le passé, mais l’éclat espiègle de son regard reste intact. Et elle sait toujours nous transporter avec elle.

Se rêvant d’abord danseuse, Kim Yaroshevskaya affirme ne jamais avoir choisi le métier de comédienne. C’est alors qu’elle enseigne la danse aux membres de la troupe de théâtre Le Grenier qu’elle a la piqûre. Un jour qu’elle les observe répéter une pièce, elle ne peut s’empêcher de les interrompre à plusieurs reprises pour proposer ses idées. Si bien que ses compagnons l’incitent à se joindre à eux. C’est finalement là, sur une scène, dans la peau d’un personnage, qu’elle se sent à sa place.

Fanfreluche, la poupée conteuse

Un peu plus tard, le Théâtre Le Grenier reçoit la commande de préparer une pièce pour enfants. Guy Messier, Henriette Major, André Loiseau et Kim Yaroshevskaya décident alors d’inventer chacun un personnage, puis de créer le spectacle à partir de là.

Pour penser à mon personnage, je me mets à la place de l’enfant que j’ai été. Quel personnage aimerais-je voir sur scène? Et tout de suite, je le sais. Je veux voir une poupée. Petite, j’en avais voulu une. Tellement. Mais mes parents croyaient que jouer à la poupée empêchait les petites filles de devenir courageuses et fortes. Eh bien là, je vais voir sur scène, devant moi, s’accomplir ce désir ardent : je vais voir une poupée. Une poupée qui marche, qui parle... et qui danse, par-dessus le marché!

- Kim Yaroshevskaya dans Mon voyage en Amérique, p. 63.

Vous l’aurez deviné, Fanfreluche vient de naître. Nous sommes en 1953. Ses trois compagnons deviendront le clown Fafouin, l’horloge Gudule et le pirate Maboule. On retrouvera ensuite la poupée à la télévision de Radio-Canada sur une période de 17 ans : dans Fafouin (1954), dans La Boîte à surprise (1956-1972) et, enfin, dans sa propre émission, Fanfreluche (1968-1971).

La comédienne écrit elle-même les textes de Fanfreluche, ce personnage grâce auquel elle transportera des milliers d’enfants dans des univers merveilleux peuplés de sorcières, d’ogres et d’animaux qui parlent, parmi bien d’autres êtres fascinants. Si elle reprend généralement des contes venus de partout dans le monde, elle y ajoute avec plaisir une touche bien personnelle.

J’aimais plus que tout cette tangente que j'avais prise de remettre en question l’ordre établi, de taquiner les sorcières plutôt que de les laisser régner. Questionner l’ordre établi, autant dans la vie que dans les contes, c’est ce que j’aimais plus que tout.

- Kim Yaroshevskaya, dans CHOUINARD, Marie-Andrée, « Une vie de conte », Le Devoir, 26 octobre 1998.

Une tendance qui lui viendrait de ses parents idéalistes et révolutionnaires? Qui sait? Rappelons-nous que Fanfreluche avait l’habitude d’entrer dans les livres pour se mêler de l’histoire lorsqu’elle percevait une injustice. Après tout, elle le disait d’entrée de jeu dans la chanson thème de l’émission : « Fanfreluche va raconter / Un beau conte à sa manière ».

Écoutez les contes de Fanfreluche.

La Grand-Mère de toute une génération

À compter de 1977, Kim Yaroshevskaya continue à raconter des histoires à la télévision, mais cette fois sous les traits d’un personnage bien plus sage que la poupée Fanfreluche. Enfilant un châle et une perruque grise (mais sans afficher la moindre ride!), elle devient la grand-mère douce et à l’écoute que tous les enfants voudraient avoir.

L’une des rares adultes visibles à l’écran dans l’entourage de Passe-Partout, Passe-Carreau et Passe-Montagne, Grand-Mère ne se contente pas de raconter des histoires. Elle est toujours disponible pour rassurer, consoler et rigoler.

Écoutez Grand-Mère raconter une histoire ou empruntez Passe-Partout.

Entre autres projets, Kim Yaroshevskaya assure également, sur scène et sur disque, la narration de Pierre et le loup de Prokofiev avec l’Orchestre Métropolitain, alors dirigé par Agnès Grossmann. Ce conte-là aussi, elle lui apporte sa touche personnelle. Par exemple, lorsqu’elle constate que les enfants sont tristes que le loup ait avalé le canard, elle fait en sorte que le pauvre volatile parvienne à s’échapper de l’estomac du prédateur. Comment? Le canard chatouille le loup de l’intérieur, ce qui le fait rire et le force à ouvrir la gueule. Voilà une fin qui devait plaire bien davantage aux jeunes âmes sensibles.

Aussi pour les adultes

Bien des années après Fanfreluche, Kim Yaroshevskaya découvre le plaisir de raconter des histoires aux adultes. Elle apprécie le fait qu’ils comprennent mieux que les enfants son humour et le second degré qu’elle y met. Dans Contes d’humour et de sagesse, publié en 2012, elle livre à l’intention des grands une vingtaine de courtes histoires provenant de différents coins du monde.  

La comédienne n’a pas enfilé que les habits de Fanfreluche ou ceux de Grand-Mère. En fait, elle a passé beaucoup plus de temps sur les planches des théâtres, au service d’auteurs comme Beckett, Ionesco, Garcia Lorca, Tchekhov, Shakespeare ou Camus, pour ne nommer que ceux-là. C’est d’ailleurs au théâtre qu’elle affirme avoir vécu les plus beaux moments de sa carrière.

Très attachée à la culture russe, Kim Yaroshevskaya a aussi traduit quelques textes du russe au français, notamment des œuvres de Tchekhov, dont elle est une grande admiratrice. Par ailleurs, les contes de Pouchkine l’ont beaucoup inspirée pour ses propres histoires. C’est ainsi qu’elle a toujours gardé vivant son amour de la culture russe.

Merci pour tout, madame Yaroshevskaya! Et bon anniversaire!

Sources consultées

« En 1969, Kim Yaroshevskaya raconte son histoire », entrevue par Guy Boucher, Jeunesse oblige, Société Radio-Canada, 29 décembre 1969, 16 minutes.

« En 1994, Kim Yaroshevskaya raconte son enfance en Russie », En toute liberté, Société Radio-Canada, 23 octobre 1994, 26 minutes.

CHOUINARD, Marie-Andrée, « Kim Yaroshevskaya : une vie de conte », Le Devoir, 26 octobre 1998, p. B1.

DESMEULES, Christian, « Kim Yaroshevskaya dans l’œil de la mémoire », Le Devoir, 18 novembre 2017, p. C30.

MONTPETIT, Caroline, « Le retour de Fanfreluche », Le Devoir, 12 mai 2003, p. A1, A8.

SIMARD, Yves, « Kim Yaroshevskaya », L’encyclopédie canadienne, 24 octobre 2022, https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/kim-yaroshevskaya.

VILLENEUVE, Lucie et Fabienne JULIEN, « Kim Yaroshevskaya : le plaisir des grands rôles », La vie en rose, no 35 avril 1986, p. 43-45.

YAROSHEVSKAYA, Kim, Mon voyage en Amérique, Montréal, Boréal, 2017, 139 p.