Le courage de dénoncer le racisme : une cause à la Cour suprême du Canada

Dans les années 1930, il est fréquent que les Noirs, au Québec et ailleurs au Canada, soient confrontés à des pratiques discriminatoires. Plusieurs ont vécu une histoire comme celle de Fred Christie. Peu nombreux sont ceux qui, comme ce Montréalais, en ont fait un levier de changement social. Récit.

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Marteau de juge et ouvrages légaux
Marteau de juge et ouvrages légaux

La lutte pour des droits civiques pour tous

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Le 11 juillet 1936, Fred Christie se rend au Forum de Montréal pour assister à un match de boxe. Il s’arrête à la taverne York située dans l’amphithéâtre pour prendre une bière, mais on refuse de le servir parce qu’il est noir. Cet événement déclenche une véritable saga judiciaire qui se terminera à la Cour suprême du Canada.

Christie c. York [extrait], 1939.
Christie c. York [extrait], 1939. Archives nationales à Montréal, fonds Cour supérieure (TP11, S2, SS2, SSS2, nos 151809, 151592 et 152164 [contenant 1992-07-002 \ 1110]).

Jamaïcain d’origine et résident de Verdun depuis près de 20 ans, Fred Christie a fait face à de nombreuses situations discriminatoires dans le passé. Or, cette fois, il décide de mener sa cause auprès des instances juridiques. Avec l’aide de Kenneth Melville (premier homme noir à fréquenter la faculté de médecine de l’Université McGill), une campagne de levée de fonds est organisée pour financer sa défense. 

Une cause entendue par la Cour suprême du Canada

En mars 1937, Fred Christie obtient gain de cause à la Cour supérieure du Québec. Le juge Philippe Demers, qui considère que la taverne s’apparente à un restaurant, s’appuie sur le Code civil du Bas-Canada pour affirmer qu’en vertu du permis qui lui est accordé par le gouvernement, elle ne peut refuser de servir qui que ce soit. L’établissement est donc condamné à verser 25 $ de dédommagement à Fred Christie.

Les propriétaires de la taverne décident de porter le verdict en appel. Dans une décision rendue le 24 mai 1938, la Cour du Banc du Roi (Cour d’appel) infirme le premier jugement prononcé à la Cour supérieure en évoquant qu’une taverne n’est pas un restaurant et que tout propriétaire est libre d’administrer son commerce comme il le souhaite, y compris de choisir sa clientèle.

Fred Christie porte appel de cette décision à la Cour suprême du Canada qui statue le 9 décembre 1939 que le principe général de la loi au Québec est la liberté d’entreprise et que « chaque propriétaire est maître chez lui » et qu’il peut, « à son gré, établir toutes règles non contraires aux bonnes mœurs et à l’ordre public. »

Christie c. York, jugement du juge Philippe Demers de la Cour supérieure, 1937. (1)
Christie c. York, jugement du juge Philippe Demers de la Cour supérieure, 1937. (2)
Christie c. York, jugement du juge Philippe Demers de la Cour supérieure, 1937. Archives nationales à Montréal, fonds Cour supérieure (TP11, S2, SS2, SSS2, nos 151809, 151592 et 152164 [contenant 1992-07-002 \ 1110]).

 

Le droit de propriété des commerçants et les droits individuels

Les jugements de la Cour d’appel du Québec et de la Cour suprême démontrent le peu d’importance que l’on accorde à l’époque aux droits individuels. En revanche, les actions de Fred Christie n’auront pas été vaines puisque 20 ans après le rejet de sa cause par la Cour suprême, une série de lois sont adoptées au Canada et au Québec reconnaissant des droits fondamentaux pour tous. Par exemple, mentionnons :  

  • La Déclaration canadienne des droits (1960)
  • La Charte québécoise des droits et libertés de la personne (1975)
  • La Loi canadienne sur les droits de la personne (1977)
  • La Charte canadienne des droits et libertés (1982)

S’il est inconcevable aujourd’hui d’empêcher qui que ce soit, sur la base de la couleur de sa peau, d’accéder à un commerce, l’histoire nous rappelle que les acquis quant aux droits des individus, surtout ceux des minorités et des plus démunis, restent précaires et nécessitent une constante vigilance.

Les archives judiciaires : témoins privilégiés de l’évolution de la société

Les documents judiciaires produits dans le cadre de la cause Christie c. York s’ajoutent aux dizaines de milliers de dossiers judiciaires produits entre 1644 et les années 1990 que conserve BAnQ. Les troubles de 1837-1838, les émeutes contre la conscription en 1918, l’affaire Coffin, Aurore l’enfant martyre, le scandale de la MIUF, autant de causes célèbres qui, à une époque ou à une autre, ont passionné l’opinion publique et qui sont accessibles à tous.

Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Instantanés de BAnQ, le 15 février 2017, sous le titre Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs – L’Affaire Christie c. York : une saga judiciaire méconnue au Québec.