Dédé Fortin et les Colocs : on se souvient

Parti trop tôt, André « Dédé » Fortin n’aura pas été une étoile filante pour autant. Avec son groupe les Colocs, dont il était l’auteur et compositeur principal, il a profondément marqué la musique québécoise. Portrait d’un être unique et de son univers original tels que décrits dans les journaux.

Musique Musique populaire
Les Colocs en spectacle

Les débuts : une révélation

Au lendemain de la mort de Dédé, en 2000, le critique Sylvain Cormier se rappelle leur tout premier spectacle : « C’était au Festival international de rock de Montréal, en 1990. […] Déjà, ce soir-là, les Colocs avaient brassé la place, même si la place était aux trois quarts vide. […] Indélébile » (Le Devoir, 11 mai 2000). 

Les musiciens des Colocs en performance dans une petite pièce.
Les Colocs en prestation intimiste (avec Mara Tremblay au violon), 1993. Archives nationales à Montréal, fonds Office Québec-Monde pour la jeunesse.

Deux ans plus tard, les Colocs sont, aux dires d’Alain Brunet, la révélation du concours L’Empire des futures stars. Bien que qualifiés, ils refusent une participation à la finale qui les lierait automatiquement à une maison de disques. Brunet écrit : « Il faudra surveiller de très près ces descendants de Plume, capables de ciseler un formidable langage chansonnier, enrobant le tout de blues-rock et de country » (La Presse, 5 mai 1992).

Les comparaisons à Plume Latraverse – et à Jean Leloup – reviennent souvent dans les médias.

Dans sa critique du premier album, lancé en 1993, Alain Brunet parle cette fois du « plus gros "buzz" de l’heure ». Il décrit les Colocs comme les « futurs monarques de la rime joyeuse, légère de facture et souvent lourde de contenu » (Alain Brunet, La Presse, 6 mars 1993). Une semaine après sa sortie, l’album se hisse parmi les 20 plus vendus et la chanson Julie tourne en boucle à la radio.

Comment expliquer cet engouement? Marie-Christine Blais mentionne le « mélange hybride de musiques, mais aussi de personnalités, de styles, d'humours, avec toute l'incroyable énergie qui peut s'en dégager » (La Presse, 17 avril 1993).

Les Québécois se reconnaissent dans la langue, proche de celle qu’ils parlent au quotidien, et dans les sujets abordés. « Cette réhabilitation implicite de la province, elle nous fait du bien. Quand j'écoute La rue principale, je ne peux pas ne pas penser à "ma" rue Racine, à Chicoutimi », écrit Marie-Christine Blais (La Presse, 17 avril 1993).

La musique : festive et hétéroclite

Comment décrire le son des Colocs? Il s’agit certes d’un exercice complexe. À propos du premier album, Michel Bilodeau parle d’un « réjouissant cocktail de blues, boogie, country, rap, rock, skiffle, jazz » (Le Soleil, 14 mars 1993), et Alain Brunet d’un « délire hétéroclite […] blues-rock-country-folk-skiffle-manouche » (La Presse, 6 mars 1993). Pour le deuxième opus, Atrocetomique (1995), ce dernier évoque cette fois un mélange de « rock de base, blues rock, fanfare déglinguée […], reggae, zydeco et jazz primitif » (La Presse, 4 novembre 1995). Sur le troisième, Dehors novembre, paru en 1998, il décèle des références encore plus internationales : « tziganes, reggae, ouest-africaine, blues, rock, polka, funk, folk » (La Presse, 2 mai 1998). Sylvain Cormier, à propos d’un spectacle en 1998, énumère : « reggae, swing, rigodon, ska, chants tribaux africains, rockabilly, blues, raggamuffin, hip hop » (Le Devoir, 6 novembre 1998). Ouf!

Au moment du décès d’André Fortin, l’ancien animateur de Musique Plus Claude Rajotte affirme : « Aujourd'hui, le son québécois, c’est celui des Colocs, comme ce fut le cas à l’époque avec celui de Beau Dommage. Par rapport aux autres, Dédé Fortin, c’est une plus grande originalité, entre autres à cause des influences internationales qu'il a réussi à inclure dans une musique aux racines vraiment québécoises » (propos rapportés par Pierre-Paul Noreau, Le Soleil, 11 mai 2000).

Ce qui fait l’unanimité, c’est l’aspect festif de la musique des Colocs. 

Les textes : sombres, mais ancrés dans le quotidien

En plus de faire danser, cette musique festive a l’avantage de mieux faire passer les sujets lourds comme le sida, l’itinérance, la violence et les peines d’amour, « évitant ainsi de verser dans le misérabilisme » (Marie Plourde, La Presse, 3 juin 1993).

Dédé approuve : « Il faut un peu de légèreté dans quelque chose que je trouve grave » (propos rapportés par Alain Brunet, La Presse, 9 mai 1998).

Si les thèmes abordés sur les deux premiers albums sont sombres, sur Dehors novembre, ils sont franchement « insupportables : la solitude, la maladie, la mort » (Sylvain Cormier, Le Devoir, 11 mai 2000). En effet, « le chum hyper stone du narrateur n'est pas beau à voir […], le narrateur a perdu sa blonde (…), un solitaire se sent comme un animal, pu capable de définir ni le bien ni le mal... » (Alain Brunet, La Presse, 2 mai 1998).

Bien que « les rimes de Dédé Fortin ne témoign[ent] pas d’un lexique étoffé et d’une grande maîtrise de la langue » (Alain Brunet, La Presse, 11 mai 2000), il a « un sens de la parole hors du commun » et « est un de nos meilleurs rimeurs lorsqu’il est question de créer des images signifiantes avec la langue parlée » (Alain Brunet, La Presse, 2 mai 1998). Au-delà des mots, ce sont les images qu’ils évoquent qui priment pour Fortin, formé en cinéma.

Et il travaille fort. « Je travaille mes chansons comme des sculptures, explique-t-il. Des fois, j’ai l’impression de m’attarder sur la finition du bout d’un ongle » (propos rapportés par Michèle LaFerrière, Le Soleil, 30 mai 1998).

Les spectacles : de généreux partys!

Assister à un spectacle des Colocs était un événement hors du commun, à en croire les critiques. En témoignent les expressions qu’ils utilisent pour en parler : sur scène, les Colocs « cassent la baraque » et savent « brasser la cabane ». Ils mettent « la pédale au fond », ont une « énergie implacable », et sont « explosifs » et « déchaînés ». Ils produisent « du son qui déménage », créent une « formidable machine à musique » et offrent une performance « à couper le souffle ». Quant à Dédé, on souligne amplement son énergie, son excentricité, son humour. Il « s'escrime sur scène comme peu d'artistes sont en mesure de le faire en début de carrière » (Alain Brunet, La Presse, 5 mai 1992).

Les Colocs en concert.
Les Colocs en spectacle, 4 novembre 1998. Archives nationales à Montréal, fonds La Presse. Photo : Rémi Lemée.

Selon Sylvain Cormier, « le principe moteur » des Colocs sur scène consiste à « en donner deux fois plus que le contrat l’exige; se dépenser sans compter; faire en sorte que les gens dans la salle se regardent les uns les autres, ébahis, secouent la tête et s’exclament : "Fiou!" »(Le Devoir, 9 mai 1994).

Pas avares de leur énergie, ni de leur temps. « Les Colocs nous offrent un spectacle "all you can hear" : en effet, c'est à près de quatre heures de plaisir, de pure "fouâère" que les Colocs vous convient » (Marie-Christine Blais, La Presse, 6 mai 1994).

Et pour que la fête lève bien, beaucoup de collaborateurs sont parfois conviés. « À dix sur scène, les Colocs Dédé Fortin, Mike Sawatsky et André Vanderbiest entourés de choristes, percussionnistes, cuivres et meneurs de claque, la cage brassait vigoureusement », écrit Sylvain Cormier après un concert (Le Devoir, 6 novembre 1998).

La mort tragique de Dédé : une plaie vive

« Un vide immense, un trou béant dans le paysage musical québécois », « un cratère », une « énorme cicatrice ».

En mai 2000, André Fortin est retrouvé mort dans son appartement du Plateau Mont-Royal. Il avait 37 ans. L’enquête déterminera qu’il s’est suicidé. Dans les médias, dans le milieu culturel et parmi ses admirateurs, c’est le choc et la consternation.

Pour Laurent Saulnier, alors directeur de la programmation extérieure des Francofolies et du Festival international de jazz de Montréal, deux éléments donnent à André Fortin une place à part : sa capacité à « rejoindre un très large public avec une musique tout ce qu’il y a de contemporaine, et surtout, la conscience sociale qu’il réussissait à glisser dans son rock populaire » (propos rapportés par Pierre-Paul Noreau, Le Soleil, 11 mai 2000).

Pour aller plus loin

Albums des Colocs

Les Colocs1993
Atrocetomique, 1995
Dehors novembre, 1998
Suite 21162001 (paru après la mort de Dédé)

Film 

Dédé à travers les brumes, de Jean-Philippe Duval, 2009 

Biographies de Dédé

Autour de Dédé Fortin, de Jean Barbe, 2001
André Fortin – L'homme qui brillait comme une comète, de Philippe Meilleur, 2013
Dédé, de Christian Quesnel, 2023 

Spectacles sur DVD

Les Colocs live – 1993-1998, 2003 
L'intégrale – 1993-2000, 2002 
Le dernier show – Festival d'été de Québec – 11-7-19992009 

Court métrage d'animation évoquant la mort de l’harmoniciste du groupe, Patrick Esposito di Napoli

Dehors novembre, de Patrick Bouchard, 2006