Brève histoire des casse-croûtes québécois

Marqueurs du paysage québécois, les casse-croûtes font incontestablement partie de notre culture. Après tout, on leur doit notre mets national : la poutine! Brève histoire des casse-croûtes québécois. 

Histoire du Québec (1867-1944) Histoire du Québec (1945-1979) Histoire du Québec (1980 à aujourd’hui)

Le repas des travailleurs

Au 19e siècle, des établissements offrant des repas rapides sont apparus graduellement dans les villes. À Québec, on trouvait de petites cabanes sur les places du marché. L’une d’elles, à proximité du marché Champlain, se trouvait au bord des quais, suspendue au-dessus de l’eau. Selon Jean-Marie Lebel, on y servait des repas à la minute et de la petite bière à 1 sou le verre. Un journaliste rapporte que la provenance des mets y était parfois douteuse. 

Lors de l’exposition provinciale de 1894, une cantine temporaire avait été installée devant le Manège militaire pour servir les visiteurs. Le restaurant J. T. Le Vallée vendait des « repas à toute heure », en plus de cigares. Ce type d’installations lors des expositions, foires et fêtes foraines deviendra un incontournable.

Au tournant du 20e siècle, on trouve ce genre d’établissements dans les quartiers ouvriers. On les nomme « quick lunch », « light lunch », « pork and beans » ou « débits de fèves au lard ». On y vend des mets canadiens inspirés de la cuisine de chantier : lard, pain, fèves au lard, soupe aux pois, pâté chinois, etc. Ce sont des commerces d’appoint qui servent la clientèle du quartier. Ils font l’objet de surveillance policière puisqu’on y vend également de l’alcool. 

De roulottes à camions-restaurants

L’industrialisation et le travail en usine entraînent de nouveaux besoins en ce qui concerne l’alimentation dans la ville. Si les chantiers et camps de bûcherons possèdent des cantines, les usines n’offrent pas ce service à leurs employés. C’est ainsi qu’apparaissent les premières cantines mobiles, principalement des roulottes tirées par des chevaux. Ces ancêtres des camions-restaurants s’installent à la sortie des usines et offrent des repas chauds, peu coûteux et servis rapidement. 

Dans les années 1940, près de 200 cantines mobiles sont encore en activité à Montréal. Un quart d’entre elles sont encore tirées par des chevaux. Puisque les employées doivent préparer la nourriture et s’occuper des animaux, il y a des problèmes d’hygiène et de salubrité. C’est pourquoi, en 1947, la vente de nourriture et de boissons sur la voie publique est abolie à Montréal. Les autres villes de la province suivront cet exemple. Ce règlement sera maintenu jusqu’au retour de la cuisine de rue en 2015 à Montréal et en 2017 à Québec.

Les établissements installés de façon permanente sur des terrains privés vont en profiter pour moderniser leurs installations. Ils auront graduellement accès aux commodités de base : eau courante, électricité, toilettes. Certains vont s’intégrer à d’autres commerces comme des épiceries et des stations-service. Cependant, plusieurs d’entre eux resteront très modestes. Ces commerces deviennent des lieux de rencontre et taillent leur place dans la culture populaire du Québec. 

L’influence américaine

À partir des années 1920, l’influence américaine se fait sentir. Nos voisins du sud ont été les premiers touristes à parcourir le Québec. Nos cantines vont embrasser cette influence et se transformer en snack-bar à l’américaine décorés de publicités de Coca-Cola. Les menus vont également s’américaniser en offrant des hot-dogs, hamburgers, milkshakes et frites. 

Cette américanisation n’est pas toujours vue d’un bon œil. Le ministère de la Voirie et plus tard le ministère de l’Agriculture vont faire pression pour promouvoir des mets régionaux. Avec le soutien de la presse et du clergé catholique, ils vont également mener un combat contre l’anglicisation des panneaux d’affichage. Ces mesures ont pour but d’encourager les commerces à afficher fièrement l’identité catholique et francophone du Québec. À partir de 1949, un nouveau service chargé de la réglementation des affiches le long des routes est créé au sein du ministère de la Voirie.

Servir la société de loisir

L’essor de la voiture vient transformer le paysage québécois. Dans l’après-guerre, la province souhaite relancer l’industrie du tourisme. Le Québec crée de nouvelles routes, améliore celles déjà existantes, intervient dans la protection de la faune et crée de nouveaux parcs nationaux.

Cette période coïncide avec la démocratisation du tourisme et l’accès de la classe moyenne à la société des loisirs. Les familles ont plus de temps et d’argent pour voyager en voiture. Le transport de marchandises par camion crée également de nouveaux travailleurs nomades qui ont besoin de manger en route. Les motels et les casse-croûtes viennent répondre à ce besoin en offrant des services rapides et peu coûteux. D’ailleurs, cette combinaison sera très populaire. Le nombre de cantines de bord de route explose et la clientèle cible change. Si les premières cantines servaient des repas aux travailleurs, celles-ci serviront la société de loisir. 

L’ère des cantines est liée au mode de vie centré sur la voiture. Le Club Automobile de Québec (CAQ) et le ministère de la Voirie encouragent également cette relation au moyen de publications et de publicités. En 1946, le livre Adventures in good eating propose des adresses où manger le long des autoroutes nord-américaines. Parmi elles, on retrouve quelques cantines gaspésiennes servant du saumon bouilli et des langues de morue. 

L’âge d’or

La période qui s’étale de 1950 à 1980 marque l’âge d’or des casse-croûtes. Ils vivent une réelle montée en popularité et font désormais partie du paysage québécois. Offrant toujours des repas à faible coût, ils deviennent des lieux de rencontre privilégiés pour les jeunes en quête de liberté et pour les sorties en famille. De la même manière, les crèmeries se multiplient. 

Sur les quais de Québec, le restaurant Riviera fait fureur. Construit sur pilotis à proximité du traversier, il échappait ainsi aux taxes municipales, selon la légende. Ce fut le premier restaurant de la ville à ouvrir 24 heures sur 24. Le 12 janvier 1967, il est victime des flammes. 

Dans les années 1960, un nouveau mets fait son apparition sur les menus : la poutine! Cette grande vedette alimentaire vient en quelque sorte cristalliser le lien entre l’identité québécoise et les casse-croûtes. Pour la ville de Québec, c’est Ashton qui en sera le porte-étendard à partir de 1969. Le restaurant n’était alors qu’une petite roulotte sur le boulevard Hamel. 

Certains établissements vont choisir d’ouvrir uniquement pour la période estivale, un moment où l’achalandage est plus important. Cela permet également un plus faible investissement pour financer les installations. Ainsi, des roulottes sont converties en casse-croûte. On les trouve généralement stratégiquement placées à l’entrée d’un village ou sur le bord d’une route touristique. Certaines d’entre elles sont devenues célèbres dans la région. 

Différents magasins, comme la Compagnie Paquet et Zellers, offrent un comptoir-lunch. Les centres commerciaux aménagent également une aire de repas pour permettre à la clientèle de magasiner plus longtemps.

La menace des chaînes de restauration rapide

Dans les années 1970, les casse-croûtes québécois font face à de nouveaux compétiteurs. L’apparition des chaînes de restauration rapide américaines entraîne une perte de popularité pour les commerces de chez nous. Les entreprises comme McDonald’s, qui ouvre son premier restaurant au Québec en 1972, offrent des produits à des prix dérisoires. 

Aujourd’hui, l’industrie du casse-croûte se porte assez bien. Ces établissements font toujours partie de la tradition de bien des familles. La clientèle y est fidèle. Ce qui donne lieu à de nombreux débats sur le meilleur casse-croûte du Québec. D’autres entreprises marient cette gastronomie aux produits du terroir, ou choisissent de se spécialiser dans un mets en particulier. Qu’ils soient saisonniers ou non, ces restaurants occupent une place importante dans le paysage du Québec. 

Sources consultées : 

BRASSET, Rose-Line et ST-PIERRE, Jacques. Plaisirs gourmands, 1885-1979. Québec, Les Publications du Québec, 2009, 202 p. 

DENOMMÉE, Marc-André, GAGNON, Véronique et ROCHELEAU, Claude. « Dans la forêt comme à l’usine : La cantine du travailleur », À rayons ouverts, Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024, p. 45- 49. 

FAUGIER, Étienne. « Avaler la route : enjeux alimentaires et automobilisme dans la province de Québec, fin XIXe siècle-1961 ». Pour, n° 245, 2023, p. 113-122. 

FAUGIER, Étienne. « De la codépendance à l’indépendance : automobilisme et tourisme dans la province de Québec, 1906-1936 ». Téoros, vol. 32, n° 2, 2013, p. 7-15.

JAKLE, John A. et SCULLE, Keith A. Fast food : roadside restaurants in the automobile age. London, The Johns Hopkins University Press, 1999, 394 p.

LAMBERT, Maude-Emmanuelle. À travers le pare-brise : la création de territoires touristiques à l’ère automobile (Québec, Ontario, 1920-1967). Thèse de doctorat, Université de Montréal, 2013, 379 p. 

LEBEL, Jean-Marie. « Tables d’hier et d’aujourd’hui : deux siècles de restauration à Québec ». Cap-aux-Diamants, no 44, hiver 1996, p.18-23.

MADÉ, Élise. « L’histoire des cantines au Québec : des patateries aux casse-croûtes revisités », Radio-Canada, 30 juillet 2021.