Illustration colorée du magasin Archambault, reprenant l'enseigne emblématique
Détail d'une illustration créée par Mathieu Potvin pour une exposition présentée par BAnQ aux Jardins Gamelin à l’été 2021

Archambault Berri : un magasin emblématique

Fondé en 1896, le magasin Archambault est la plus ancienne organisation musicale toujours active à Montréal, tout juste après le Ladies Morning Musical Club, créé quatre ans plus tôt. La fermeture de la succursale de la rue Sainte-Catherine Est en juin 2023 sonne la fin d’une épopée commerciale et culturelle.

Histoire du Québec Musique

Edmond Archambault (1872-1947)[1] est le fondateur et premier propriétaire de l’entreprise. Né à Saint-Paul-l’Ermite, il s’installe à Montréal à la mi-vingtaine, donne des cours de piano et joue de l’orgue à l’église Saint-Pierre-Apôtre.

À 26 ans, avec une modeste mise de fonds de 130 $, il achète des partitions musicales auprès de la maison new-yorkaise G. Schirmer. Il les revend à des amateurs dans un espace sous-loué à l’arrière du magasin de musique J. A. Hurteau & Cie, rue Sainte-Catherine, près de la rue Saint-Hubert. 

Le Passe-Temps, 1896, vol. 2, no 28, 1896, p. 16.

Premier déménagement

En 1903, le magasin Hurteau déménage à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis. Le commerce d’Edmond y prend de l’expansion. Il a du flair : la vente des réputés pianos de marque Bell, fabriqués en Ontario, obtient un tel succès qu’il se porte acquéreur du commerce tout entier et lui donne son nom.

À cette époque, le commerce abrite le Conservatoire national de musique. On y enseigne la musique, la diction, l’élocution, le dessin et la peinture. En 1917, la maison Archambault acquiert le bureau d’édition de la Schola Cantorum, qui publie les œuvres canadiennes de musique religieuse.

« La Maison de l’avenir »

La crise économique ne l’ébranle pas. Edmond Archambault inaugure en avril 1930 son élégante « Maison de l’avenir » de sept étages, au coin sud-est des rues Berri et Sainte-Catherine. Dans Le Devoir du 19 avril, un publireportage dévoile sur deux pages la réussite de cet homme d’affaires avisé et prospère. On y présente ses 35 employés, photos à l’appui. Les publicités d’une vingtaine de fournisseurs, pour la plupart francophones et ayant joué un rôle dans la réalisation du nouvel immeuble, vont de l’architecte J. Raoul Gariépy au marchand d’auvents.

Le compositeur et critique musical Frédéric Pelletier évoque le parcours d’un commerçant qui a su gagner la confiance de « dix-huit cents collèges et couvents, de l’Atlantique au Pacifique ». Au sujet de son commerce, il écrit : 
 

« Quel est en effet le musicien ou l’amateur de musique qui n’en a pas entendu parler, qui n’ait pas, au moins quelques fois, passé son seuil pour y acheter un instrument ou une œuvre, ou simplement pour visiter ses étalages? Quel est le client habitué ou le simple curieux, qui n’a pas souvent profité de la courtoisie de son personnel toujours disposé et accueillant? »

- Frédéric Pelletier

Pendant la première moitié du XXe siècle, les 78 tours étaient si fragiles qu’on devait les demander au comptoir.

La musique dans tous ses états

D’abord importateur et dépositaire de musique en feuilles, détaillant de pianos depuis 1900, Ed. Archambault s’engage aussi dans l’édition et la réédition de partitions musicales dès 1901. L’énumération des nombreux services témoigne de l’ampleur du magasin inauguré en 1930.

  • Sous-sol : musique en feuilles
  • Rez-de-chaussée : magasin général
  • 1er : lutherie et radios
  • 2e : salle de concert de 200 sièges
  • 3e : salle de vente des pianos
  • 4e : instruments usagés de toute espèce
  • 5e : ateliers de réparation
  • À chaque étage : studios d’essais pour les instruments
     
L’étage de la lutherie, en 1930. Entre-nous : magazine mensuel, décembre 1930-janvier 1931, p. 4.

L’administration loge dans la maison voisine, rue Berri. Dans le publireportage mentionné plus haut, on signale que les devis du « véritable piano d’artiste » Ed. Archambault, Enrg., « le meilleur qu’offre la Maison », ont été réalisés à Paris. L’instrument produit « la sonorité des pianos français, mais sur un mécanisme destiné à notre climat ». Rappelons qu’à cette époque, on estime qu’un foyer sur cinq est propriétaire d’un piano.

Ed. Archambault, Enrg. – Sous-sol d’économies, carte postale, Montréal, Novelty Manufacturing & Art Co., années 1930?

Dès 1931, la maison Archambault adopte un slogan éloquent : « Le magasin de musique le plus complet au Canada ». « Tout ce qui est musique s’achète à cette enseigne », clame encore une publicité parue en 1958. La réputation de l’entreprise et de son équipe se conjugue sous le signe de la probité, de la compétence et de l’expérience client. 

Un véritable pôle culturel

Avec le temps, la maison Archambault devient non seulement un temple de la musique, mais aussi un pôle d’animation culturelle. Dans certains programmes de spectacles du début des années 1900, une publicité signale que le piano en usage au Théâtre National provient du marchand de musique de la rue Sainte-Catherine.

Le quotidien du commerce est ponctué de lancements, de concerts, de séances d’autographes, de remises de prix. Vous souhaitez vous procurer des billets pour un spectacle au Monument National ou un concert à l’auditorium du Plateau? Vous désirez obtenir un laissez-passer pour l’enregistrement d’une émission radiophonique à l’Ermitage ou une place en estrade pour le défilé de la Saint-Jean-Baptiste? Adressez-vous à la billetterie du magasin!

Dans le film Entre la mer et l’eau douce (Michel Brault, 1967), le musicien interprété par Claude Gauthier travaille comme garçon d’ascenseur chez Archambault. Dans deux scènes mémorables, il passe son entrevue d’embauche au milieu des instruments de musique, puis, trois minutes plus tard, conduit Pauline Julien à l’étage de la musique en feuilles[2]. Beaucoup se souviennent aussi, avec nostalgie, des postes d’écoute des disques en nouveauté[3].

Une enseigne emblématique

En avril 1930, au moment de l’inauguration du bâtiment situé à l’angle des rues Sainte-Catherine et Berri, l’enseigne lumineuse haute de 13 mètres n’est pas encore en place. Elle sera fabriquée et installée par Claude Néon, selon un dessin préliminaire proposé en août 1930. Cette entreprise détient alors l’exclusivité de la fabrication de réclames commerciales utilisant cette technologie d’invention récente. En 1995, on remplacera l’enseigne d’origine par une copie à l’identique, toujours surmontée d’une lyre.

L’épisode de protestation publique qui a suivi le retrait de l’enseigne géante du site Berri, un lundi matin de novembre 2018, est un indice de son importance dans le paysage montréalais. Le bâtiment d’inspiration Art déco a retrouvé son enseigne neuf mois plus tard.

Une affaire de famille

Entre 1896 et 1995, trois générations d’Archambault vont se succéder à la tête de l’entreprise. 
Son fondateur y travaillera jusqu’en 1946, soit un an avant son décès. Il n’est pas marié. Ses neveux Edmond, Pierre et Rosaire prennent le relais. Leurs descendants, Edmond (troisième du nom) et Rosaire fils suivront.

« Obsèques d’un marchand de musique bien connu », La Presse, 14 juillet 1947, p. 12.

La contribution de cette famille au rayonnement de la musique a pris plusieurs formes. Saluant l’avènement du microsillon (les fameux 33 et 45 tours), Rosaire père crée les Disques Alouette en 1952, puis les Disques Select en 1959. De Swing la baquèse à Colas et Colinette, de Jenny Rock à Marie Laforêt, un millier de parutions font alors fleurir la musique québécoise, populaire ou classique. Ces maisons de disques rééditent également des productions européennes pour le marché local. Dans les années 1980, Rosaire fils fonde Distribution Select. Jusqu’à sa fermeture en 2021, cette entreprise a fait contrepoids à la domination des majors américains et favorisé l’existence de nombreuses maisons de disques québécoises. 

En 1995, Québecor acquiert Archambault Musique. Renaud-Bray prend possession du réseau de 15 succursales, dont le site Berri, quelques années plus tard. Après sa fermeture en juin 2023, le mythique magasin restera longtemps dans les mémoires, en sa qualité de patrimoine commercial, immobilier et culturel, et en écho à sa présence essentielle pendant 14 décennies. 

Coups de cœur tirés des collections de la Bibliothèque nationale

Un portrait d’Edmond Archambault trentenaire, vers 1907.

7 cartes postales montrant des images du célèbre magasin et la belle demeure du commerçant dans son village natal.

475 partitions musicales publiées par la maison Ed. Archambault et numérisées par BAnQ, histoire de recréer le service de musique en feuilles.

22 affiches publiées par les Disques Select dans les années 1960 et 1970.

9 numéros du magazine Entre-nous, publié par la maison Ed. Archambault en 1929 et en 1930 (cliquez sur l’icône Calendrier pour voir toutes les années de publication).

Pour prolonger votre lecture

La notice biographique d’Edmond Archambault sur le site des Archambault d’Amérique.

Un commentaire sur le retrait de l’enseigne géante : Mario Girard, « Encore une histoire de patrimoine bafoué », La Presse, 28 novembre 2018.

La saga de la grande enseigne en 2018-2019 : Jérôme Delgado « L’enseigne d’Archambault retrouvera sa place originale », Le Devoir, 15 août 2019.

L’impact de la fermeture de Distribution Select : Philippe Renaud, « Faire le deuil de Distribution Select », Le Devoir, 26 juin 2021.

Une rétrospective signée Philippe Renaud sur l’héritage du magasin dans le milieu artistique québécois, Le Devoir, 27 mai 2023.

Pour vous consoler un peu, écoutez le sketch Ladébauche encanteur : dans un magasin de musique (vers 1928) avec les comédiens J.-Hervey Germain et Juliette Béliveau (excusez les bruits de fond).

 

Mes remerciements à ma collègue Anne-Marie Boisvert, pour ses recherches et ses judicieuses suggestions, ainsi qu’à Mathieu Potvin pour l’autorisation de publier son extraordinaire illustration du magasin Archambault.

Notes

[1] Certaines sources indiquent plutôt 1870 comme année de naissance.

[2] Le film Entre la mer et l’eau douce figure parmi les quelque 250 films québécois restaurés dans le projet Éléphant, mémoire du cinéma québécois. La séquence de l’entrevue d’embauche survient environ 51 minutes après le début du film.

[3] Une scène d’un film d’Yvan Attal mettant en vedette Charlotte Gainsbourg et Johnny Depp évoque ces expériences magiques dans un magasin de musique français. (N’oubliez pas de monter le son.)