Salle de spectacle avec sièges et scène dotée d'un rideau vert.
La salle du Théâtre du Rideau vert, rue Saint-Denis, en 2014. © François Laplante Delagrave. Courtoisie du Théâtre du Rideau vert.

75e du Rideau Vert : l’histoire des lieux

C’est la doyenne des compagnies de théâtre professionnelles encore actives au Québec : en novembre 2023, le Théâtre du Rideau Vert célèbre 75 années d’activité. BAnQ propose un photoreportage à travers le temps et l’espace, à la découverte des lieux où la compagnie a joué.

Arts vivants Programmes de spectacle

De lieu en lieu, avant le Stella

Dès sa naissance, en novembre 1948, le Rideau Vert doit faire face à un enjeu clé : trouver un lieu. Un lieu où produire, où répéter, où convier le public aux représentations sur scène.

La jeune compagnie du Rideau Vert va d’abord se produire au Théâtre des Compagnons du père Legault, aménagé dans une ancienne église anglicane sur la rue Sherbrooke Est, près de l’intersection De Lorimier, à Montréal. Elle y présente ses cinq premières productions, entre février 1949 et mai 1950[note 1].

À deux reprises, le Rideau Vert réussit à louer la très convoitée scène du Gesù : elle y joue deux productions en 1951, puis une autre en 1958-1959 pour son 10e anniversaire. Dans cette salle du collège Sainte-Marie, gérée par les pères jésuites et aménagée sous l’église, elle monte aussi Antigone de Jean Anouilh. Elle devient en février 1952 la première troupe professionnelle invitée hors concours par le Dominion Drama Festival, LE festival de théâtre de l’époque.

À partir de 1952, le Théâtre du Rideau Vert doit suspendre ses activités pendant quatre ans, le temps de renflouer ses coffres. Entre 1956 et 1959, outre le Gesù, deux autres salles figurent sur sa feuille de route. La grande salle du Monument-National, boulevard Saint-Laurent, est utilisée pour les productions les plus ambitieuses.

Pour les productions modestes, on loue la salle du Théâtre Anjou, un théâtre de poche d’environ 90 places, aujourd’hui disparu. L’Anjou était situé au centre-ville de Montréal, rue Drummond, à la même adresse que « le moins cher des meilleurs restaurants français », propriété d’André Chassaing. L’ambiance y était chaleureuse, mais les directrices du Rideau Vert se désolaient de devoir refuser des spectateurs, faute de place.

La journaliste Michelle Tisseyre et son conjoint, l’auteur et éditeur Pierre Tisseyre, qui seront des supporters actifs du Rideau Vert pendant plusieurs années. Photographie publiée à la une de Radiomonde et Télémonde, 15 septembre 1956.

Avant 1960, la compagnie se produit occasionnellement sur d’autres scènes : le Théâtre d’art de Sainte-Adèle, le North Hatley Playhouse, le Théâtre Saint-Denis, le Théâtre Capitole (à Québec) et le Théâtre des Prairies (à Joliette). Elle offre aussi quelques prestations outre-mer, notamment à Paris en 1964, à l’invitation expresse du ministre de la Culture André Malraux, en Italie et en Russie.

Enfin, le Stella!

Le 14 octobre 1960, le Rideau Vert inaugure ses nouveaux quartiers au Théâtre Stella et donne vie à son rêve d’un théâtre permanent : un spectacle pratiquement chaque soir, une nouvelle pièce à l’affiche chaque mois (programme de février 1962, p. 3). Au début des années 1960, le programme annuel du Rideau Vert compte 9 spectacles, pour un total de 275 représentations. Cette approche a un effet significatif sur le développement des publics au théâtre : on dénombre alors entre 8000 et 12 000 spectateurs pour chacune des productions du Rideau Vert (Jean Hamelin, Le théâtre au Canada français, 1964, p. 26).


Entièrement modernisée, la salle compte 420 fauteuils et rappelle, selon certains, l’atmosphère des théâtres parisiens. En 1968, l’enseigne du Stella disparaît. Le lieu portera désormais le nom de Théâtre du Rideau Vert. 
 

Départ pour Paris des comédiennes Denyse Saint-Pierre (en tailleur clair) et Yvette Brind’Amour (deuxième à partir de la droite). Mercedes Palomino est au centre de la photo. Radiomonde, samedi 14 octobre 1961, p. 8.

Six décennies plus tard, après d’importantes rénovations réalisées en 1991, les espaces publics de la compagnie se trouvent toujours au 4664, rue Saint-Denis, entre les rues de Bienville et Gilford. Bureaux et salle de répétition sont aménagés dans un édifice de la rue voisine. En 2023, il y a toujours deux femmes aux commandes : Denise Filiatrault assure la direction artistique et Céline Marcotte, la direction générale. On a le sens de la continuité : les noms des deux fondatrices figurent toujours parmi ceux de l’équipe du Rideau Vert.

Un site habité

Le site actuel du Rideau Vert est chargé d’histoire. Plusieurs cohortes de gens de théâtre s’y sont succédé depuis 1912, année où les entrepreneurs d’origine libanaise George et Charles Farhood inaugurent le Théâtre Chanteclerc. Ce théâtre de quartier francophone, doté d’environ 450 sièges, met à l’affiche drames, comédies, revues de fin d’année et pièces de vaudeville jusqu’à la fin des années 1920.

Suivra l’époque du Stella d’avant le Rideau Vert. Entre 1930 et 1935, au moins cinq troupes – notamment la troupe Barry-Duquesne – animeront successivement la salle. Celle-ci sera convertie en cinéma avant de prendre les couleurs du Rideau Vert. Plusieurs figures du théâtre montréalais y laisseront leur marque. Leurs noms résonnent encore : Antoine Godeau, Julien Daoust, Fred Barry, Bella Ouellette, Juliette Béliveau, Albert Duquesne, Henri Letondal, Antoinette Giroux, Paul Hébert…

On prétend encore aujourd’hui qu’un fantôme prénommé Hervé rôde au Théâtre du Rideau Vert. Hervé, c’est peut-être un pseudonyme de l’Histoire? Ses déambulations seraient-elles par hasard accompagnées par le bruiteur du Chanteclerc?

Pour en savoir plus

Le Théâtre du Rideau vert : un premier rôle dans l’histoire, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2023.

« Le Théâtre Chanteclerc », Théâtre à Montréal, 1825-1930, parcours Web produit par BAnQ en collaboration avec le Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal (UQAM).

« Yvette Brind’Amour a la foi… aux œuvres et aux comédiens de chez nous », Radiomonde, samedi 4 mars 1950, p. 11.

Lavertu, Marielle, « Le Rideau Vert, pilier de notre théâtre », À rayons ouverts, no 89 (printemps-été 2012), p. 20-23.

Léger, Danielle, « Le Théâtre du Rideau Vert : retour aux sources », article publié sur le site web de BAnQ, 20 juillet 2022.

Saucier, Pierre, « Première saison du nouveau Stella », La Patrie du dimanche, 28 août 1960, p. 102.

Théâtre du Rideau Vert, Théâtre du Rideau Vert, 1949-1989, programme, 1989. BAnQ numérique.

Théâtre du Rideau Vert, Le Théâtre du Rideau Vert en 65 points factuels, étonnants et mémorables, Ligne du temps, 2013.

Les fonds Théâtre du Rideau Vert (P831), Yvette Brind’Amour (P857) et Paul Gury (alias Loïc Le Gouriadec, P841) peuvent être consultés aux Archives nationales à Montréal.

La base de données RAPPELS fournit un précieux relevé des scènes fréquentées par les compagnies de théâtre québécoises.
 

[note 1] L’église anglicane Saint-Thomas a été construite en 1907. Après l’épisode des Compagnons et du Rideau Vert, elle redevient un lieu de culte, catholique cette fois. Depuis le milieu des années 1990, l’édifice abrite un espace chorégraphique animé par la Fondation Jean-Pierre Perreault, puis par Circuit-Est.