Fondée en 1948, c’est la plus vénérable compagnie de théâtre professionnelle encore active au Québec. À la manière d’un photoreportage, l’article qui suit présente les fondatrices et les premières productions du Rideau Vert.

Dans cette page
À l’origine du Rideau Vert
Danse, théâtre, radio. Au début des années 1940, le nom d’Yvette Brind’Amour (1918-1992) défraie la chronique, mondaine et culturelle. Svelte, élégante, douée, on lui confie des rôles d’ingénue, mais elle souhaite « réussir dans le drame comme dans la comédie ». L’interprète est une révélation pour le public québécois : les lecteurs de Radiomonde la couronnent Miss Radio 1943.



Mercedes Palomino (1913-2006), que ses proches surnomment Metcha, est citoyenne du monde. Née à Barcelone, en Catalogne, elle étudie le théâtre à Buenos Aires, en Argentine. Active en journalisme et à la radio, elle travaille également comme comédienne et metteure en scène au Chili et au Pérou.
Après un séjour à New York en 1946, pour la Chaîne des Amériques de la Columbia Broadcasting Corporation, elle est à Paris l’année suivante comme correspondante pour la section des arts du journal La Prensa de Lima. Certains racontent que Metcha a rencontré Yvette Brind’Amour sur un paquebot. D’autres, que cela s’est produit à Radio-Canada à Montréal, en 1947, où Metcha réalisait des reportages et radiothéâtres destinés au public latino-américain.


L’aigle à deux têtes
Pendant 44 ans, depuis sa fondation en novembre 1948 jusqu’au décès d’Yvette Brind’Amour en 1992, le Rideau Vert sera régi par ces deux femmes. Si une direction bicéphale est courante en arts de la scène, rares sont les compagnies théâtrales où deux femmes ont assuré les directions artistique et administrative pendant une aussi longue période. Et vécu, à cette époque encore frileuse, une relation amoureuse discrète mais résolue sous l’œil des médias et du public.


Plus souvent exposée au feu des projecteurs, Yvette Brind’Amour est spontanément associée à la direction artistique. Dans la presse montréalaise, on emploie divers vocables pour parler du rôle de Mercedes Palomino : secrétaire et amie, gérante, directrice générale, etc. Selon Jean Beaunoyer, critique au journal La Presse, la réalité est plus complexe : ces dames étaient « l’âme, le cœur et le sang de ce théâtre » et se désignaient volontiers comme « un aigle à deux têtes ». On peut aussi affirmer qu’elles ont fait du Rideau Vert un véritable phénix.



Leurs contributions respectives ont été saluées à maintes reprises. Ainsi, au début des années 1970, Mercedes Palomino reçoit un parchemin honorifique décerné par le ministère québécois de l’Immigration en hommage à sa réussite personnelle et à son apport à la vie culturelle québécoise. Outre son travail comme directrice au Rideau Vert, cette Québécoise d’adoption a œuvré comme réalisatrice, auteure, correspondante, comédienne et traductrice. Elle s’est aussi impliquée activement dans le milieu théâtral.

Vous trouverez sur le site de Radio-Canada une entrevue enregistrée en 1964 avec une Yvette Brind’Amour fort enjouée, et une autre où les deux fondatrices soulignent le 21e anniversaire de leur compagnie en 1970.
Vous pouvez aussi lire Les deux femmes, un témoignage rédigé par Félix Leclerc en 1958. Il met en lumière la présence influente de mesdames Palomino et Brind’Amour. Vous les croiserez aussi au concert de la chanteuse Barbara, à la Place des Arts, en mars 1975 : l’épisode est relaté par Michel Tremblay dans son récent ouvrage Offrandes musicales (Leméac/Actes Sud, 2021, p. 37-45).
75 ans de productions théâtrales
En novembre 1948, la compagnie du Rideau Vert surgit à un point tournant dans l’histoire mouvementée du théâtre à Montréal. Plus tôt cette année-là, L’Équipe de Pierre Dagenais, à bout de ressources, suspend ses activités. Seuls subsistent les Compagnons de saint Laurent du père Émile Legault qui vont disparaître à leur tour en 1952. Entre-temps, Jean-Louis Roux fonde en 1951 le Théâtre d’essai de Montréal, qui fera bientôt place au Théâtre du Nouveau Monde.
La trajectoire du Rideau Vert est traversée par de fulgurants coups d’audace, et ce, dès les deux premiers projets de la troupe. Le tout premier s’expose à la censure, courante à cette époque : en raison de la mise à l’index de l’œuvre de Jean-Paul Sartre par l’Église catholique, La P… respectueuse (La Putain respectueuse) ne prendra pas l’affiche à l’hôtel Ritz-Carlton en novembre 1948 (Le Canada, 2 février 1949, p. 5).
Trois mois plus tard, en février 1949, le tandem Brind’Amour-Palomino opte pour un sujet tabou : l’homophobie. La partition théâtrale Les innocentes de Lillian Hellman prête voix à 10 actrices et à un seul acteur. L’homme de théâtre René Richard Cyr décèle ici les signes d’un « féminisme naissant et formidable » (La Presse, samedi 10 mai 2014, p. C14). Huit donateurs avancent chacun une somme de 100 $ pour former le modeste capital initial du Rideau Vert; les comédiens professionnels jouent à titre bénévole (programme souvenir du 10e anniversaire, 1958). Au même moment, la pièce Tit-Coq de Gratien Gélinas fait un tabac au Gesù.




La suite des choses, ouverte, éclectique, foisonnante, est bien documentée dans la base de données RAPPELS, qui recense les productions théâtrales présentées sur les scènes québécoises. Près de 400 productions présentées au Rideau Vert y sont répertoriées. Dans BAnQ numérique, on vient de compléter le versement des documents publiés par la compagnie : plus de 370 affiches et environ 400 programmes de spectacles, sans oublier les programmes de saison.
Entre drame et comédie, se côtoient de grands auteurs, du théâtre de boulevard, des œuvres contemporaines, du théâtre jeunesse, des spectacles de marionnettes, des revues d’actualités, du théâtre musical et plusieurs créations québécoises. Yvette Brind’Amour y aura tenu quelque 200 rôles et assuré une cinquantaine de mises en scène.







Pour en savoir plus
Marielle Lavertu, « Le Rideau Vert, pilier de notre théâtre », À rayons ouverts, no 89 (printemps-été 2012), p. 20-23.
« Le Théâtre Chanteclerc », Théâtre à Montréal, 1825-1930, parcours Web produit par BAnQ en collaboration avec le Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal, UQAM.
Le Théâtre du Rideau Vert en 65 points factuels, étonnants et mémorables, ligne du temps, 2013.
Théâtre du Rideau Vert, 1949-1989, programme, 1989.
« Yvette Brind’Amour a la foi… aux œuvres et aux comédiens de chez nous », Radiomonde, samedi 4 mars 1950, p. 11.
Pierre Saucier, « Première saison du nouveau Stella », La Patrie du dimanche, 28 août 1960, p. 102.
Les fonds Théâtre du Rideau Vert (P831), Yvette Brind’Amour (P857) et Paul Gury (alias Loïc Le Gouriadec, P841) peuvent être consultés aux Archives nationales à Montréal.