Premières ! De Claire Kirkland-Casgrain à Kateri Champagne Jourdain

Le 29 octobre 1961, Marie-Claire Kirkland-Casgrain annonce qu’elle briguera l’investiture libérale dans la circonscription montréalaise de Jacques-Cartier. Avocate de profession, mère de trois enfants, elle souhaite succéder à son père, Charles-Aimé Kirkland, mort en fonction deux mois plus tôt. Elle jouit de l’appui du premier ministre Jean Lesage, mais sa candidature est loin de faire l’unanimité. Jamais encore une femme n’a été élue députée au Québec.

L’annonce de la candidature de Marie-Claire Kirkland-Casgrain est reçue avec enthousiasme par plusieurs. Sera-t-elle la première femme à siéger à l’Assemblée législative du Québec? Des membres influents de l’« équipe du tonnerre » de Jean Lesage soutiennent cette candidate qui pourrait bien marquer l’histoire.

Georges-Émile Lapalme, procureur général et ministre des Affaires culturelles, ainsi que René Lévesque, ministre des Richesses naturelles, prononcent des discours en appui à la candidate. C’est ce que révèlent, entre autres, ses notes autobiographiques inédites conservées dans le fonds Marie-Claire Kirkland-Casgrain aux Archives nationales à Montréal.

Dans ces notes, rédigées tant en français qu’en anglais plusieurs années après les faits, Marie-Claire Kirkland-Casgrain témoigne du soutien de ses proches, mais aussi des doutes qui l’assaillent avant de poser officiellement sa candidature. Elle se souvient :

Tous ne partagent pas cet enthousiasme. Plusieurs s’opposent encore au travail des femmes et à leur contribution à la vie politique. Un exemplaire d’un tract anonyme trouvé parmi les archives de Marie-Claire Kirkland-Casgrain rend compte de ces forces conservatrices toujours hostiles aux femmes en politique au début des années 1960.

À quelques jours de l’assemblée d’investiture, un groupe de libéraux fait circuler des copies de ce tract virulent s’élevant contre la candidature de Kirkland-Casgrain :

Retranscrit en partie à la page 13 du Journal La Presse du 21 novembre 1961 sous le titre « Une drôle de démocratie », le contenu du tract est décrié par un journaliste qui déplore le recours à des « arguments aussi ridicules » et souhaite que « personne ne s’y laisse prendre ».

Le tract remet également en question la légitimité même de la candidature de Kirkland-Casgrain. « Le comté de Jacques-Cartier est-il un royaume où on se passe la couronne de père en fille? On n’hérite pas d’une députation, on la gagne par sa valeur personnelle », affirment ses détracteurs. La candidate serait-elle avantagée du simple fait d’être la fille du député Charles-Aimé Kirkland décédé en fonction le 9 août 1961?

Cette attaque menée par des adversaires issus des rangs libéraux fait totalement abstraction de l’expérience de la femme de 37 ans. Diplômée de l’université McGill et membre du barreau du Québec, elle mène une carrière d’avocate depuis une dizaine d’années. À ce titre, elle a même plaidé devant le Comité des Bills privés de l’Assemblée législative, alors présidé par Maurice Duplessis. Suivant de près la carrière de son père, elle est aussi une militante active au sein du Parti libéral depuis plusieurs années et a participé à la constitution de la Fédération des femmes libérales du Québec.

L’assemblée d’investiture libérale dans Jacques-Cartier se tient à Lachine le 20 novembre 1961. À cette occasion, l’un des trois candidats en lice profite de sa tribune pour remettre en question la légitimité de la candidature de sa rivale et s’élever contre la possibilité qu’une femme accède à la députation.

En effet, n’en déplaise à ses détracteurs, Marie-Claire Kirkland-Casgrain remporte l’investiture libérale dans une victoire éclatante, ralliant 484 des 582 délégués présents. (Le Devoir, 22 novembre 1961, p. 2).

Le 14 décembre suivant, elle marque l’histoire en devenant la toute première femme élue députée au Québec. Elle obtient par ailleurs une majorité historique de plus de 24 000 voix sur son plus proche rival. Par cet appui sans précédent, l’électorat envoie un message clair : désormais, les femmes ont leur place en politique. Néanmoins, Marie-Claire Kirkland-Casgrain sera la seule femme à siéger au Salon bleu durant les 11 années que durera sa carrière politique. Elle décède en 2016 et reçoit des funérailles nationales.

Plus récemment, Kateri Champagne Jourdain, membre de la nation innue, est entrée dans l’histoire puisqu’elle est la première femme autochtone à accéder au Conseil des ministres du Québec.

Chacune à sa façon, ces deux femmes ont fait les premiers pas pour briser le plafond de verre de l’Assemblée nationale empêchant les femmes de jouer un rôle essentiel sur la scène politique.

Élection de la première femme à l'Assemblée législative du Québec sur le site Les lignes du temps du Québec

L’histoire des femmes au Québec, de Marie de l’Incarnation à Pauline Marois

Poursuivez la découverte! Consultez d’autres articles soulignant la Journée internationale des droits des femmes :

Littérature sorcière et pouvoir féminin

Ces femmes qui voulaient voter