Homme portant lunettes fumées regardant dans l'objectif d'un appareil photo au long objectif.
Éclipse solaire du 7 mars 1970. Archives nationales à Montréal, fonds La Presse (P833, S5, D1970-0169). Photographe : Robert Nadon.

Voir une éclipse à travers les journaux

Une partie du Québec pourra bientôt contempler une rare éclipse solaire totale... si les conditions météo le permettent! Ce phénomène a déjà été observé dans la province, notamment en 1932. Des articles de journaux de cette année-là en témoignent.

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Tout comme une partie de l’Amérique du Nord, certaines régions du Québec pourraient apprécier un spectacle hors du commun le 8 avril 2024. Des médias ont rapproché cette éclipse de celle du 31 août 1932, qui avait été observée en certains lieux dans toute sa splendeur – d’autres éclipses plus récentes, en 1970 et 1972, par exemple, ont souffert de cieux incléments. En tout cas, on peut constater l’intérêt pour le phénomène grâce aux journaux de l’époque.

En vue du jour J : préparatifs et prévisions

Dans les jours qui précèdent l’éclipse, les journaux publient des articles riches en conseils et prévisions. Si la rareté du phénomène et sa valeur scientifique passionnent, les risques qui lui sont inhérents suscitent des appels à la prudence : Montréal prévoit éclairer ses rues durant l’éclipse « pour prévenir tout accident sur la voie publique », rapporte cette dépêche parue dans La Presse le 30 août 1932 (p. 3).

Autre préoccupation : la météo… « les nuages seraient cause de déception ». Un ciel couvert nuirait forcément au spectacle et, par ricochet, limiterait la portée du travail des scientifiques souhaitant approfondir la connaissance de ce phénomène.

Vous comptiez faire des courses ce jour-là? Eh bien, le grand magasin Henry Morgan planifiait de fermer plus tôt (La Presse, 30 août 1932, page 2) pour permettre à ses employés « de voir l’éclipse d’une façon satisfaisante ». En passant par là à temps, on pouvait quand même se procurer des « verres d’observation » moyennant 10 cents la paire.

Au sein de la communauté scientifique, les dispositifs et outils utilisés pour observer l’éclipse sont un peu plus sophistiqués que les simples lunettes. À preuve, cette illustration qui montre des inventions pouvant paraître étonnantes… à un œil contemporain.

À la bonne heure

La Presse précise que « l'éclipse partielle commence(ra) à 3 h 14 minutes alors que au (sic) sud le bord de la lune entamera le disque du soleil. L’éclipse sera totale à Montréal durant une trentaine de secondes entre 4 h 24 et 4 h 25. L’éclipse partielle sera finie à 5 h 32 minutes, alors que le disque du soleil sera de nouveau parfait rond. »

La Tribune de Sherbrooke du 31 août offre aussi des précisions sur l’heure à laquelle on pourrait observer le phénomène. La durée de l’éclipse totale est, à 93 secondes, plus longue qu’à Montréal.

Le quotidien sherbrookois partage également cet « avis important » avec ses lecteurs : « Il est très dangereux d’observer le soleil à l’œil nu durant l’éclipse. Il faut le faire avec des verres fumés ou des pellicules photographiques. » (NDLR : Presque un siècle plus tard, ces mises en garde ont évolué et la plus grande prudence reste de mise. Il existe tout de même des façons d’apprécier l’éclipse de manière sécuritaire.)

Totalement visible ou pas?

Toujours dans La Presse, on précise que « l'éclipse est partielle pour toute l’Amérique du Nord et pour une partie de l’Asie et de l’Amérique du Sud. La bande de totalité, large d'une centaine de milles, prend naissance au nord de la Sibérie, traverse les régions polaires, glisse sur la mer d’Hudson, parcourt le nord de la province de Québec, puis, continuant vers le sud-est, enjambe le Saint-Laurent entre Montréal et Fortierville, file vers la frontière des États-Unis. »

Et vaut mieux en profiter, car « la prochaine éclipse totale visible au Canada sera en 1954, et ne pourra être vue que dans l'extrême nord du pays. Montréal ne sera pas visitée par une autre éclipse totale avant quelques siècles. Alors! » Il semble que l’éclipse de 2024 ne paraissait pas encore sur le radar à l’époque.

Dans La Presse du 1er septembre (p. 8), on rapporte qu’à Montréal l’expérience s’est avérée partiellement intéressante : « La déception naturellement fut grande de ne rien voir de l'éclipse totale et des phénomènes qui l’accompagnent. Tous cependant purent apercevoir le soleil rongé par l’ombre de la lune, à deux rapides reprises, à 3 h 48, puis entre 4 h 40 et 5 h, le voir de nouveau apparaître, d'abord comme un fin croissant d’or pur, semblable au dernier quartier de la lune, et plus tard le revoir à moitié découvert. »

Toujours dans La Presse de ce jour-là, un entrefilet atteste que l’éclipse a causé « beaucoup d’émoi chez les animaux » : « À l’approche de l'obscurité, les poules ont regagné le poulailler et se sont juchées. Elles ont repris leur caquetage seulement une quinzaine de minutes après le retour de la lumière. Mais le coq n’a pas chanté […]. Les canards sauvages, les écureuils, les siffleux montraient tous des signes d’effroi et semblaient affolés. »

Du côté de Québec, Le Soleil du 1er septembre (p. 3) témoigne d’un « spectacle impressionnant » : « Tous les Québécois étaient dans la rue, sur les places publiques ou sur les toits, et pendant une heure environ les affaires furent paralysées. Personne ne pensait à acheter et il n'y avait, dans certains magasins, personne pour vendre. L’éclipse absorbait toutes les énergies. Patrons et employés, hommes et femmes, des multitudes d’enfants, tous armés de l’indispensable verre fumé, scrutaient la voûte céleste où se produisait le plus merveilleux phénomène qui soit. »

Le quotidien trifluvien Le Nouvelliste du 1er septembre 1932 rapporte, non sans superlatifs : « Des milliers de personnes admirent cet événement unique. La nature subit des transformations féériques qu’il est impossible de décrire. Elle passe par une gamme de teintes et de nuances d’une beauté suprême. »

Notons par ailleurs ce point de vue exprimé dans L’Événement du 2 septembre (p. 3)Cette publication de Québec, rire en coin, parle de ce « phénomène que l’on a vu différemment » et taquine certains journaux montréalais, dépités de n’avoir profité que d’un « visionnement » partiel, faisant de l’ombre aux chanceux qui ont profité d’un grandiose spectacle – comme à Louiseville et à Trois-Rivières. Comme quoi la rivalité Montréal-Québec s’étend jusqu’à la voûte céleste…

Enfin, la métropole pouvait se consoler : même New York n’a pas eu droit au forfait complet : « Broadway n'a pu observer l’éclipse totale, vu qu’elle n’était visible que dans une proportion de 95 pour cent », relate le périodique L’Illustration du 2 septembre 1932 (p. 3).