Bibliothécaire manipulant des documents anciens
Bibliothécaire manipulant des documents anciens. Crédit : Michel Legendre

Textes, textures, textiles

Une des joies du métier de bibliothécaire est d’explorer les collections. On se laisse surprendre, au hasard des découvertes, ou encore, tel un détective, on suit un filon. Ma collègue Isabelle Robitaille, bibliothécaire responsable des imprimés anciens, en a récemment choisi un : le textile.

Arts Sciences et technologies Livres d’artistes et ouvrages de bibliophilie

Dispersés sur trois siècles, de l’époque de la Nouvelle-France au XXe siècle, une cinquantaine d’objets ont été sélectionnés par Isabelle. Ces objets-indices seront présentés lors d’une conférence intitulée Des fourrures au synthétique : textures dans les collections. Laissez-vous raconter l’histoire des fourrures, du cuir ou du nylon au fil des siècles…

Le XVIIIe siècle

Non, il n’y avait pas de perroquets bleus chez les Inuits, malgré ce qu’on voit à la droite du tableau ci-dessus. Mais il y a bien 24 peuples des Amériques représentés dans cette eau-forte publiée à Paris et à Bordeaux en « l’an 7 de la République française », soit en 1798 ou 1799. On peut y remarquer la diversité des tenues vestimentaires, des parures et des matières : textiles, cuirs, fourrures, etc. Son auteur et éditeur, Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810), est né à Montréal, « sous le ciel glacé de l’Amérique septentrionale[note 1] ». De l’autre côté de l’Atlantique, il a fait carrière comme homme de lettres, diplomate et dessinateur. On le décrit aussi volontiers comme un aventurier et un mystificateur.

Pardevant les notaires de la Province du Bas Canada [à Montréal] y residant, soussignés; fut présent [Antoine Ladouceur de Ste Anne], 1806.

Le XIXe siècle

Apparue avec la colonisation française et les coureurs des bois, la traite des fourrures, fort lucrative, se poursuit sous le Régime anglais. Les Britanniques en font un commerce hautement organisé qui se tient dans un climat de compétition féroce. Antoine Ladouceur, résidant de Sainte-Anne (possiblement Sainte-Anne-de-Bellevue), est un des Canadiens français engagés par la McTavish, Frobisher & Co. Ce contrat imprimé, signé à Montréal en 1806, nous apprend qu’il occupait une place dans un des canots d’une expédition en direction des lointaines contrées du Témiscamingue.

Le XXe siècle

Les magazines illustrés des années 1940 et 1950 évoquent notamment les innovations qui vont bouleverser l’industrie textile, multipliant les textures inédites. Bien que l’idée de fabriquer des fibres synthétiques remonte à aussi loin que 1664, il faudra attendre 1935 pour voir la première fibre plastique commercialisée. Un chimiste travaillant pour la compagnie américaine Du Pont de Nemours vient alors de créer le nylon. Sept ans plus tard, la publicité du soutien-gorge Gothic souligne ses multiples vertus; notamment, il permet de réserver deux matériaux stratégiques pour l’effort de guerre, soit le caoutchouc et le coton.

Dans son numéro de septembre 1950, La Revue moderne fait l’éloge de la rayonne. Ce matériau semi-synthétique est composé de fibres naturelles, soit la cellulose obtenue à partir de la pulpe de bois ou du coton, transformées par un bain chimique. C’est une fibre caméléon qui peut imiter l’aspect et la texture du coton, du lin et de la soie.

On trouve dans le même numéro une publicité qui vante la supériorité de la vinylite. Ce polymère polyvalent a connu de multiples applications, des 78 tours produits pendant la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux grandes feuilles souples découpées et assemblées pour produire des articles de maison aux couleurs vives.

Livres d’artistes signés Monique Juteau et Jo Ann Lanneville : Comment se porte la solitude? (2001, tirage de 25 exemplaires, CH/172), À bas mots (2002, tirage de 8 exemplaires, CH/204) et L’île aux foulards (2004, tirage de 8 exemplaires, CH/213).

Le XXIe siècle

Depuis les années 1960, diverses prises de conscience en matière d’environnement ont modifié le regard que nous portons sur les matières utilisées. Le désir de sauvegarder les espèces animales a entraîné la remise en cause de la mode des fourrures. Puis, le développement durable a fait naître bien des questionnements au sujet du plastique.

Le recours à la laine et au tricot à la main trouve un écho dans une série de trois livres-objets créés entre 2001 et 2004 par l’artiste visuelle Jo Ann Lanneville et l’écrivaine Monique Juteau. Greffant un carnet à une mitaine, à un bas et à un foulard, cette trilogie convoque à la fois une approche low tech, en phase avec la nature, et un savoir-faire manuel.

Du côté des fonds d’archives

La quête d’Isabelle l’a également menée vers les fonds d’archives de l’institution, où on trouve aussi des manifestations inattendues de l’univers des textiles et des textures : un ourson géant, un mouchoir, des maquettes de costumes de théâtre, etc. Tout n’est pas que papier à BAnQ…

Sources consultées

[note 1] Bernard Andrès, « Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810), aventurier du livre et de l’estampe », Les Cahiers des Dix, no 56, 2002, p. 195.