Troisième état de l'oeuvre Survenant de Léon Bellefleur
Léon Bellefleur, Survenant (état 3A), Montréal, Atelier Danielle Blouin, 1988.

Rencontre de deux artistes d’exception : Léon Bellefleur et Danielle Blouin

BAnQ a reçu récemment un don unique en son genre :  43 magnifiques épreuves d’états du peintre et graveur Léon Bellefleur (1910-2007). Celles-ci témoignent de la rencontre privilégiée de cet artiste avec une imprimeuse d’art, Danielle Blouin.

Arts visuels Estampes

En 1988, l’artiste et imprimeuse d’art Danielle Blouin ouvre son premier atelier d'impression, sur la rue Bridge à Montréal. La même année, elle travaille avec l’artiste Léon Bellefleur à la préparation du livre de Guy Robert Bellefleur ou la ferveur à l'œuvre, qui sera publié quelques mois plus tard. Trois estampes originales seront réalisées pour ce projet, dont deux ont été retenues afin d’être ajoutées au tirage de tête de l’ouvrage :  Survenant, ajoutée dans l’édition originale, et Rivage d’été, ajoutée à l’édition anglaise.

Les épreuves d’états qui ont été précieusement conservées par Danielle Blouin permettent de mieux comprendre le processus de création derrière la production d’une estampe, et le lien tout particulier entre un artiste et son imprimeur.

L’ouvrage de Guy Robert dans son habitat naturel, la réserve des collections spécialisées de la Bibliothèque nationale (site Rosemont). Photo : Catherine Ratelle-Montemiglio.

Qu’est-ce qu’une épreuve?

 

« Le mot "épreuve" désigne tout exemplaire imprimé à partir d’un élément d’impression1 » selon le Code d’éthique de l’estampe originale.

L’élément d’impression, ou la matrice, dont il est question ici est une plaque de métal que l’artiste a gravée grâce au procédé de l’eau-forte. Il s’agit là d’une définition générale; il existe plusieurs types d’épreuves différentes qui peuvent être produites par un artiste. Le type d’épreuve est normalement bien identifié sur l’œuvre. On trouve notamment dans la collection d’estampes de BAnQ des épreuves de dépôt légal, des épreuves d’artistes ou d’atelier… et des épreuves d’états :

« Dans la démarche traditionnelle, l'état est cette épreuve tirée alors que l'image n'est pas complétée. L'état sert alors à vérifier l'avancement ou l'évolution de l'image dans la matrice. Dans cette démarche, l'image est réalisée en étapes successives, et l'artiste modifie la matrice en vue d'atteindre un degré de perfection de son projet artistique2 ».

Ainsi, après avoir gravé sa matrice, un artiste peut procéder à de multiples impressions en travaillant sa plaque un peu plus chaque fois jusqu’à ce qu’il obtienne le résultat souhaité. L’épreuve d’état finale, que l’on appelle aussi le « bon à tirer », est celle qui servira de modèle pour la production du tirage. Dans un tirage d’estampes, chaque épreuve doit être identique. Elles seront par la suite numérotées.

 

Détail du premier état et du bon à tirer de Léon Bellefleur, Rivage d’été, Montréal, Atelier Danielle Blouin, 1988.
Photo : Catherine Ratelle-Montemiglio.

Imprimeuse d’art : l’exemple de Danielle Blouin

 

Un artiste peut imprimer lui-même ses estampes, chez lui ou en atelier, ou faire appel à un imprimeur d’art professionnel. Imprimer de l’art, c’est prêter ses mains et ses connaissances à un artiste pour l’assister dans la réalisation de sa vision. Danielle Blouin est l’une des premières à ouvrir, dans les années 1980, un atelier privé offrant ce service. D’abord autodidacte, puis formée au Québec, en Suisse et au Japon, elle manifeste un tel amour pour la gravure qu’elle fait construire presque sur mesure une presse à imprimer par Yvon Marinier à Sainte-Agathe-des-Monts, au coût faramineux pour l’époque de 14 500 $. La liste des artistes avec qui elle a collaboré est impressionnante, allant de Yves Gaucher à Irène Whittome, Monique Charbonneau, Lucie Laporte et Robert Wolfe.

Le processus de création pour la série d’estampes de Bellefleur est particulier. Alors que le travail avec l’artiste se fait habituellement à l’atelier, Blouin produisait pour cette série une première impression de la plaque en plusieurs exemplaires, puis se rendait avec les épreuves au domicile de Léon Bellefleur pour recueillir ses commentaires. Elle retournait ensuite à son atelier pour produire un second état, revenait chez Bellefleur, et ainsi de suite jusqu’à l’obtention du bon à tirer, l’épreuve ultime qui serait reproduite pour la totalité du tirage (125 exemplaires dans ce cas-ci). C’est ce processus particulier qui a permis à Blouin de garder les traces des échanges entre artiste et imprimeur et qui nous permet aujourd’hui de comprendre cette démarche.

Détail du premier état et du bon à tirer de Léon Bellefleur, Survenant, Montréal, Atelier Danielle Blouin, 1988. Photo : Catherine Ratelle-Montemiglio.

Les changements visibles dans les différents états résultent de l’ajout ou du retrait de certains éléments, réalisés grâce à différentes techniques selon l’effet recherché. Si les changements sont parfois subtils pour un œil non averti, certains sautent aux yeux, comme l’ajout d’un petit bateau dans l’œuvre Rivage d’été!

Détail du bon à tirer de l’œuvre Rivage d’été, où l’on voit clairement l’ajout d’un petit bateau! Photo : Catherine Ratelle-Montemiglio.

Lorsqu’on arrive au dernier état, le bon à tirer, le travail est loin d’être terminé pour l’imprimeur ou l’imprimeuse. Il doit ensuite réaliser la totalité de l’édition, qui varie selon les projets. Cette étape est très exigeante et demande beaucoup de concentration, puisque tous les exemplaires finaux doivent être identiques. Même si le bon à tirer est le modèle à suivre, au fur à mesure de l’impression, il peut y avoir des changements puisque l’objectif reste d’arriver au résultat le plus optimal possible.

Léon Bellefleur, Survenant (état 3A), Montréal, Atelier Danielle Blouin, 1988.
Photo : Catherine Ratelle-Montemiglio.

Comme il s’agit d’un processus exigeant une relation étroite avec l’artiste, Blouin n’a accepté de collaborer qu’avec ceux et celles qu’elle appréciait. Il faut en effet être fin complice, proposer des solutions et être en dialogue constant avec l’artiste afin de respecter sa vision tout en la concrétisant. S’ajoute à cela le défi de trouver un équilibre entre les contraintes de temps et de moyens, tout en préservant la qualité de l’œuvre. En effet, la personne qui imprime a une responsabilité vis-à-vis de l’artiste. Elle doit notamment utiliser des matériaux de qualité, autant les encres que les papiers, afin d’assurer la pérennité de la création. L’œuvre finale témoigne de l’intensité et de la complicité de cette relation entre artiste et imprimeur.

Sources consultées

1 Nicole Malenfant et Richard Ste-Marie, Code d’éthique de l’estampe originale, Montréal, Conseil québécois de l’estampe, 2000, p. 42.

2 Ibid., p. 49.