La vallée de la rivière Jacques-Cartier, 1972
La vallée de la rivière Jacques-Cartier, 1972 (détail). Archives nationales à Québec, fonds Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier (P2118, D29). Photographe non identifié.

La bataille de la Jacques-Cartier

En 1972, Hydro-Québec souhaite construire une centrale hydroélectrique sur la rivière Jacques-Cartier. La région deviendrait un énorme réservoir pour la centrale nouvellement construite et ce haut-lieu de biodiversité voué à disparaître. Rapidement, l’opposition s’organise.

Histoire du Québec (1945-1979) Environnement Sciences naturelles

Entre biodiversité et progrès

Depuis des millénaires, la rivière Jacques-Cartier serpente au travers du massif des Laurentides. La Jacques-Cartier a façonné une vallée où le climat est propice à une flore et à une faune variée.  La forêt de feuillus domine. On y retrouve principalement le bouleau jaune, l’érable à sucre et plusieurs plantes herbacées. L’épinette noire et le sapin baumier siègent également dans ce décor boréal.

La vallée abrite également une faune riche. On y retrouve les grands mammifères boréals tel le caribou, l'orignal et le cerf de Virginie ainsi que quelques prédateurs : loup gris, renard roux, lynx et ours noir La vallée de la Jacques-Cartier offre aussi le refuge à des petits animaux comme la loutre, le castor et la musaraigne. La faune aviaire n’est pas en reste puisque plus de 169 espèces d'oiseaux nichent dans la région, au plaisir des ornithologues amateurs du Québec (1). La rivière est également un lieu de fraie pour le saumon de l’Atlantique qui profite de cette rivière d’eau douce bien oxygénée. De nombreuses espèces menacées y ont trouvés refuge telle la grive de Bicknell et l’omble chevalier (2). 

En 1970, la société québécoise se modernise et se transforme. Les progrès politiques et économiques amènent des milliers de Québécoises et de Québécois à intégrer le marché du travail. La jeune génération porte de nouveaux idéaux pour la société québécoise. Mais le nouveau mode de vie amène une consommation électrique élevée, surtout durant les heures de pointe du soir. Devant ce constat, Hydro-Québec prévoit que les demandes en électricité surpasseront bientôt l’offre. Il devient évident pour la société d’état qu’il faut trouver une nouvelle source d’énergie. Parmi tous les sites possibles pour construire un barrage à réservoir, les yeux se tournent vers la rivière Jacques-Cartier dans la région de la Capitale-Nationale. Hydro-Québec tente de séduire la population locale en promettant d’investir 175 millions de dollars dans un chantier qui fournira près de 1 000 emplois locaux pendant 5 ans. Le projet Champigny vient de voir le jour.

Contestation et protection

Dans le petit village de Tewkesbury, qui borde la Jacques-Cartier, c’est la consternation. L’arrivée de la centrale à réserve pompée inonderait la vallée. Personne ne veut sacrifier ce sanctuaire de la biodiversité. Le secteur constitue un lieu prisé pour fuir la ville et observer la faune et la flore laurentienne. Sous l’impulsion de Richard Lavoie, cinéaste reconnu, les citoyens opposés au projet se réunissent le 5 août 1972. La décision est prise de fonder le Comité de Préservation de la Jacques-Cartier. Jean Bédard, biologiste et professeur à l’Université Laval, prend la présidence du comité. Il s’entoure de professionnels dans divers domaines pour faire front contre le projet Champigny d’Hydro-Québec.

Soucieux de mener une campagne efficace, les membres du comité s’informent sur l’expérience des autres combats écologistes menés au Canada. Ils constituent également une documentation scientifique étoffée sur le projet Champigny et sur ses impacts sur la rivière Jacques-Cartier afin d’informer la population.  Le premier objectif du comité est d’attirer l’attention des médias.  Le comité organise une conférence de presse en pleine nature pour dénoncer le projet hydroélectrique, dévoilant la beauté de la Jacques-Cartier aux Québécois. Pour mobiliser la communauté, le comité fait imprimer des affiches, des autocollants pour parechocs, des macarons et un tract expliquant les positions et les arguments du comité. Une pétition est également lancée pour soutenir le comité. Plus de 20 000 personnes manifestent leur appui grâce à cette pétition.

Assemblée de fondation du comité, 5 août 1972

L'assemblée a décidé que le choix d'un nom pour le comité devrait refléter le plus possible les objectifs visés [...]. [...] conscients que tout bouleversement de notre environnement implique toute la population, [il est résolu] unanimenent de retenir l'applation suivante : Le Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier. 

- Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier.

En décembre 1972, un appui inattendu vient donner des munitions aux opposants du projet Champigny. Gaston Moisan, sous-ministre du Tourisme de la Chasse et de la Pêche, donne à Jean Bédard un rapport commandé par Hydro-Québec en 1971.  Les militants y apprennent que plusieurs barrages sont prévus sur la Jacques Cartier. Le comité rend public le rapport suscitant la consternation.

Alors que le soutien populaire se manifeste, le comité réussit également à unir la classe politique municipale. Dans une pétition commune adressée au premier ministre Robert Bourassa, tous les maires de la région de Québec donnent leur appui au comité en février 1973. Du jamais vu alors.

Devant la pression populaire et politique, et après plusieurs tergiversations, une commission parlementaire voit le jour le 4 mai 1973. Hydro-Québec ne démontre alors pas pourquoi la Jacques-Cartier est nécessaire à son développement. À la fin de l’été 1973, le projet Champigny est abandonné. Huit ans après, le gouvernement québécois constitue le parc national de la Jacques-Cartier qui protège la rivière Jacques-Cartier. C’est le couronnement de plusieurs années de mobilisation citoyenne pour protéger notre patrimoine naturel national.

Sources consultées

[1] SEPAQ « Parc national de la Jacques-Cartier - Portrait du Parc », https://www.sepaq.com/pq/jac/decouvrir/portrait.dot?language_id=2 (Consulté en ligne le 11 avril 2023)

[2] ibid.