Geneviève Albert
Photo : Stéphane Viau

Geneviève Albert et les Réalisatrices Équitables

Nous avons récemment eu le plaisir de rencontrer Geneviève Albert, réalisatrice engagée et passionnée. Elle nous a entretenus de l’organisme Réalisatrices Équitables et de son film Noémie dit oui sorti en 2022, en plus de partager avec nous quelques recommandations de livres et de films. 

Cinéma Société

Avec la collaboration de Simon Carrière

Noémie dit oui

Noémie dit oui évoque la fugue d’une adolescente qui va se prostituer pendant les trois jours que dure le Grand Prix de Formule 1 du Canada, à Montréal. Sorti en 2022, le film a connu un beau succès et Kelly Depeault a reçu le prix Iris de la meilleure actrice. Un film fort, sur un sujet difficile, mais que la réalisatrice a traité brillamment grâce à des choix esthétiques radicaux, audacieux et pertinents.

Si le Grand Prix est le théâtre de l’action de Noémie dit oui, c’est qu’il est malheureusement un haut lieu de la prostitution. Farouchement engagée contre l’exploitation sexuelle, la réalisatrice déplore que le Grand Prix ne fasse rien pour sensibiliser le public sur ce drame qui sévit pendant l’événement.

La répétition des nombreuses scènes de prostitution dans la seconde moitié du film peut ébranler le spectateur. Mais cette radicalité était nécessaire pour faire ressentir ce que vit l’héroïne sans aucune complaisance.« J’ai écrit et tourné un film pour que moi-même, en tant que public, je puisse le voir. Chaque cadre a été pensé au millimètre », explique Geneviève. Un spectateur,  client des prostitués, a même écrit à la réalisatrice « qu’il avait compris quelque chose après avoir vu [son] film ».

« Je suis fière de mon film. Je suis parvenue à faire un film qui me correspond », affirme Geneviève.

Si le cinéma permet à Geneviève Albert de dénoncer la violence faite aux femmes, elle est aussi préoccupée par la représentation non équitable des femmes parmi les réalisatrices.

Réalisatrices Équitables

Par leurs œuvres et leurs combats, certaines cinéastes pionnières comme Anne Claire Poirier et Mireille Dansereau ont permis l’émergence des femmes cinéastes au Québec dans les années 1970 et 1980. Elles restent cependant très minoritaires au Québec et, en 1988, le collectif Moitié-Moitié dénonçait en vain cette situation inéquitable. Prenant la relève, l’organisme Réalisatrices Équitables est créé en 2007 afin « d’atteindre l’équité pour les femmes dans le domaine de la réalisation au Québec ».

Grâce à ses recherches et à ses statistiques témoignant de la situation injuste des réalisatrices, l’organisme a obtenu que des mesures de parité soient instaurées par les institutions de financement. L’année 2020 était l’horizon fixé pour atteindre cette parité.

La parité, mais pourquoi?

Pour que la parité soit effective, entre 40 % et 60 % des projets déposés, des films acceptés et des budgets accordés par les principales institutions du Québec doivent bénéficier aux réalisatrices.

« Il y avait beaucoup d’a priori par rapport aux quotas, dit Geneviève Albert. Mais pour moi, ce n’est pas de la discrimination positive, c’est une correction qui va dans le sens de la justice. Plutôt qu’un mal nécessaire, je parlerais d’un bien nécessaire ».

Permettre aux femmes un accès équitable aux fonds publics de financement, ce n’est pas simplement un gain pour celles-ci, mais également pour le cinéma et le public, comme le démontre le travail de Réalisatrices Équitables. Accéder à l’imaginaire des réalisatrices, à une autre vision du monde, cela ne peut qu’offrir plus de diversité et moins de stéréotypes, donc du meilleur cinéma. 

Les répercussions

Quelques années après l’instauration des mesures de parité, le changement est palpable. Avec un nombre de productions équivalent (41), 19 des films sortis en 2023 ont été réalisés par une femme alors qu’il y en avait eu seulement 8 en 2015. Le succès est au rendez-vous : en 2019, quatre des cinq films québécois qui ont enregistré le plus d’entrées au Québec avaient été réalisés par une femme. Le temps d’un été de Louise Archambault, sorti en 2023, est quant à lui devenu le plus grand succès au box-office québécois en quatre ans.

Une fois obtenus un meilleur accès au financement et des succès publics réguliers, il reste à gagner la reconnaissance du milieu. « On est tous conditionnés depuis des siècles et trop de biais inconscients viennent influencer l’évaluation des œuvres », explique Geneviève Albert.

En 2016, dans le livre d’entretiens Le cinéma québécois au féminin, l’artiste Isabelle Hayeur clamait : « On entend rarement qu’un film réalisé par une femme est un chef-d’œuvre. Il va falloir accepter de dire que La vie rêvée [Mireille Dansereau, 1972] est un chef-d’œuvre, que Mariages [Catherine Martin, 2001] est un chef-d’œuvre. »

Mais depuis 2020, on observe une nette amélioration. Antigone, de Sophie Deraspe, et La déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau Lavalette ont reçu le prix Iris du meilleur film respectivement en 2020 et en 2021. Rappelons qu’en 19 ans de remise de prix, La passion d’Augustine de Léa Pool était le seul film réalisé par une femme reconnu comme le meilleur film de l’année. Le nombre de lauréates a donc tout simplement triplé en deux ans. Saluons aussi le succès de Monia Chokri qui a remporté, avec Simple comme Sylvain, le César du meilleur film étranger le mois dernier.

Et maintenant?

L’effet des mesures de parité instaurées au Québec est visible, mais il faut faire preuve de prudence,  rappelle Geneviève Albert. « Les reculs sont tout à fait possibles. Ce ne sont pas 10 ans de mesures de parité qui vont effacer des siècles de domination masculine. Si ces mesures paritaires doivent rester 100 ans, elles vont rester 100 ans. » Il reste cependant encore beaucoup à faire. Il y a encore trop peu de cinéastes autochtones et issues de la diversité. Les gros budgets du cinéma québécois sont encore en grande majorité alloués aux réalisateurs. Il faudrait également que les mesures soient appliquées à télévision et à la publicité.

En attendant une plus grande équité, profitons des répercussions positives que peuvent avoir ces mesures de parité et savourons sans modération les beaux films de nos réalisatrices.

Les suggestions de Geneviève Albert

Romans

L’amant, de Marguerite Duras

« C’est mon livre préféré, celui qui m’a le plus marquée. Marguerite Duras est une écrivaine qui me pousse à écrire. Elle m’inspire, elle libère ma parole. »

Putain, de Nelly Arcan

« C’est un livre percutant. L’écriture de Nelly Arcan, froide, descriptive, concrète, m’a bouleversée. Cette parole complètement enflammée, cette écriture à fleur de peau, ça a été une inspiration directe pour Noémie dit oui. »

Films

Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles, de Chantal Akerman

« Je recommande toute l’œuvre de Chantal Akermann. Grâce à la répétition de chaque geste du quotidien du personnage de Jeanne Dielman orchestré à la minute près, elle nous fait ressentir physiquement, sensoriellement ce qu’est la vie de cette femme au foyer. Ça m’a inspiré pour ma mise en scène des clients dans Noémie dit oui. »

Mourir à tue-tête, d’Anne Claire Poirier

« C’est un film majeur du cinéma québécois. Dans le film, la monteuse et la réalisatrice discutent sur comment filmer et monter une scène de viol. Ce qu’elles disent est brillant : un viol n’est pas une relation donc on ne peut pas mettre dans le même cadre le violeur et la victime. C’est la démarche que j’ai adoptée pour mon film. Je ne voulais pas induire par un cadre partagé par Noémie et le client qu’on était face à une relation alors qu’on est face à l’exploitation d’un humain par un autre humain. »

Livre sur le cinéma au féminin

Le regard féminin : une révolution à l’écran, d’Iris Brey

« Je recommande chaudement ce livre sur le female gaze, le regard féminin. C’est sournois parce qu’on ne se rend pas compte que notre propre regard est conditionné. Iris Brey déchiffre comment tout cela se décline concrètement dans l’image et c’est très pertinent. »

Courts métrages de Geneviève Albert disponibles gratuitement en ligne