Des hommes, femmes et enfants près d'un char allégorique pour le défilé de la fête du Travail.
Défilé de la fête du travail, 1924. Ville de Gatineau, Collection iconographique de la Ville de Hull, H012-01/0125.

Des femmes à la rue! Les allumettières en grève

Il y a 100 ans, en 1924, les allumettières de la E. B. Eddy manifestaient à Hull pour une deuxième fois dans le but de défendre les droits des ouvrières de l’usine. Les deux grèves des allumettières marquent l’histoire collective alors que leur syndicat, presque entièrement féminin, mène le combat.

Histoire du Québec (1867-1944)

La E. B. Eddy et la fabrique d’allumettes

En 1851, l’Américain Ezra Bulter Eddy s’établit à Hull, aujourd’hui Gatineau. Pourquoi Hull? Parce qu’il y trouve toutes les matières premières nécessaires à la fabrication d’allumettes : phosphore, bois, énergie hydraulique et main-d’œuvre. Sa compagnie prospère rapidement et après quelques années, son usine est la plus grande productrice d’allumettes au Canada. La E. B. Eddy devient ainsi le plus important employeur de Hull.

L’usine emploie à la fois des hommes, des femmes et des enfants. Alors que les hommes travaillent principalement à la confection des allumettes, les femmes et les enfants se chargent de la production des boîtes et de l’emballage. C’est cette dernière opération qui requiert le plus de main-d’œuvre. La majorité des membres du personnel de la E. B. Eddy sont donc des femmes.

Vu les maigres salaires accordés aux ouvriers, le revenu supplémentaire apporté par ces femmes s’avère absolument nécessaire à la survie du noyau familial, même s’il est loin d’être aussi élevé que celui des hommes. Il s’avère encore plus nécessaire dans une ville comme Hull, où la majorité des ouvriers travaillent dans le domaine de l’industrie forestière, très saisonnière. 

Conditions de travail périlleuses

Bien que cela puisse sembler assez facile comme travail, le métier d’allumettière est très dangereux. Leur revenu est calculé en fonction de la quantité de paquets d’allumettes qu’elles produisent. Elles doivent donc travailler vite, ce qui augmente les risques. Le phosphore étant une matière très inflammable, le moindre frottement peut déclencher un incendie. Chaque ouvrière travaille avec un seau d’eau près de son poste de travail afin de pouvoir éteindre un feu rapidement.

C’est surtout l’effet nocif du phosphore blanc qu’on redoute. En effet, de nombreuses ouvrières souffriront de nécrose maxillaire, provoquée par l’exposition aux matières dangereuses. Les toxines du phosphore se logent dans les gencives et causent la destruction d’une partie de la mâchoire. Cette maladie très douloureuse laisse souvent l’ouvrière défigurée. 

À cela s’ajoutent un faible salaire et de longues heures de travail. En 1910, une ouvrière passe en moyenne 50 heures par semaine au travail.

Syndicalisation féminine

Comme les ouvrières du textile, les allumettières formeront leur premier syndicat vers 1918. C’est sous la direction des Oblats de Marie-Immaculée que l’Association ouvrière catholique féminine de Hull voit le jour. Elle devient ainsi la première organisation réservée aux employées de la E. B. Eddy. Jusque-là elles avaient toujours été exclues des efforts de syndicalisation. 

Les conditions à l’intérieur des manufactures de la ville s’améliorent grâce aux efforts de l’association. En 1919, le syndicat se scinde en unités professionnelles et c’est alors qu’apparaît le Syndicat des faiseuses d’allumettes.

Grève de 1919

Le nouveau Syndicat des faiseuses d’allumettes rencontre vite ses premiers défis alors que la E. B. Eddy annonce une réduction des salaires et un recul touchant les conditions de travail. Les ouvrières s’y opposent et la compagnie riposte en fermant les portes de leur secteur. Les ouvrières manifestent dans les rues entourant l’usine pour exprimer leur frustration. Après deux jours de pression, l’entreprise recule et les ouvrières l’emportent sur toute la ligne. Bien qu’il ne s’agisse pas vraiment d’une grève mais plutôt d’une contre-grève puisque c’est la compagnie qui avait décidé d’empêcher ses ouvrières de travailler, on identifie souvent cet événement comme étant la première grève menée par des femmes au Québec.

Le syndicat féminin, très motivé par sa victoire, reste très actif durant les années qui suivent et veille à l’amélioration des conditions de travail des allumettières. Non seulement il milite pour les droits des ouvrières, mais il organise aussi des activités éducatives et récréatives pour ses membres.

La grève de 1924

En 1924, le syndicat féminin traverse sa plus grande épreuve. En réaction aux exigences de ses ouvrières, la E. B. Eddy impose un lock-out de trois mois. Cette fermeture forcée de l’usine par les patrons prive les employées de tout revenu, dans le but de briser le syndicat. La population appuie les ouvrières qui se battent pour leurs emplois et leurs conditions de travail. Plusieurs commerçants offrent les vivres nécessaires aux familles sans revenus. De plus, un soutien financier arrive de syndicats d’un peu partout au Québec.

Lorsque les portes de la Eddy ouvrent à nouveau, le syndicat est affaibli après ces mois de fermeture. Les dirigeantes, dont la plus connue est sans conteste Donalda Charron, perdront leur emploi, et la compagnie cessera de reconnaître le syndicat. Peu après, en 1927, la E. B. Eddy déplace son usine en Ontario, laissant les allumettières sans emploi et donnant le coup de grâce au syndicat.

Bien que l’histoire se termine sur une défaite pour les allumettières, le lock-out de 1924 en est une pour la E. B. Eddy aussi. L’appui reçu par les grévistes durant toutes les manifestations à la fois de la population, des journaux, des commerçants et même des élus de la ville de Hull fait comprendre aux dirigeants de la Eddy qu’ils ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent comme auparavant. C’est ce qui les poussera à quitter la province en 1927.

Pour aller plus loin

Durocher, Kathleen, « Pour sortir les allumettières de l’ombre : Les ouvrières de la manufacture d’allumettes E. B. Eddy de Hull (1854-1928) », Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2022.

Lapointe, Michelle, « Le syndicat catholique des allumettières de Hull », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 32, no 4, mars 1979.

Capsule Ligne du temps sur la grève de 1924 :

Entrevue avec Anna Giroux, ancienne allumettière, enregistrée dans le cadre du projet Mémoire d’une époque. Voir l’extrait entre 18:43 et 20:10, 1984. Archives nationales à Québec, fonds Institut québécois de la recherche sur la culture (E54, S1984, D76).

Fonds E. B. Eddy conservé au Musée des sciences et de la technologie du Canada.