Une rue, la nuit, des voitures et des piétons circulent entre les affiches illuminées des salles de théâtre et de cinéma
Intersection des rues Sainte-Catherine et Metcalfe à Montréal. On y voit les théâtres Loew's et Capitol, 1970. Archives nationales à Montréal, fonds Ministère de la Culture et des Communications (E6, S7, SS1, D703511). Photo : Henri Rémillard.

Censure lors de la Semaine du film français en 1958

À une époque pas si lointaine, un film présenté au Québec devait passer sous la loupe du Bureau de censure des vues animées de la province de Québec. Scènes coupées, sujets tabous écartés… Que serait un grand film sans une petite dose de provocation?

Cinéma Histoire du Québec (1945-1979) Société

À l’origine des festivals de films à Montréal

Le Québec a été friand de films et de cinéma dès ses débuts commerciaux, en 1906, avec l’ouverture du Ouimetoscope. L’intérêt s’est rapidement développé grâce entre autres à des pionniers comme les abbés Albert Tessier et Maurice Proulx. Durant la première moitié du XXe siècle, les salles de projection se multiplient, notamment par l’organisation de ciné-clubs dans les milieux universitaires ou encore par des projections dans les salles paroissiales.

C’est donc dans une société avide de cinéma qu'est proposée à la fin des années 1950 la Semaine du film français. Il s’agit du premier festival consacré au 7e art à Montréal. Cette seule édition du festival se tient dans la métropole du 3 au 9 novembre 1958 en présence de plusieurs vedettes dont Arletty, Jean-Pierre Aumont, Daniel Gélin, René Clair, Charles Vanel, Dany Robin, François Périer et Mijanou Bardot. 

Des refus et des coupures

Le long métrage Maxime du réalisateur Henri Verneuil doit inaugurer cet événement organisé par Unifrance Films, association chargée de la promotion et de l'exportation du cinéma français dans le monde. À la suite des coups de ciseaux du Bureau de censure des vues animées de la province de Québec, qui ampute la pellicule de 40 minutes, le distributeur refuse de présenter l’œuvre cinématographique prévue en première mondiale.

Refaire le titre, réécrire le scénario

Le film d’ouverture est remplacé par Les amants de Montparnasse de Jacques Becker, mettant en vedette les acteurs Gérard Philipe et Anouk Aimée, que l’on a allégé de quelques scènes ne totalisant qu’une minute. Basé sur l’histoire tragique de Jeanne Hébuterne et d’Amedeo Modigliani, le film est toutefois rebaptisé Montparnasse 19, le mot « amants » étant tabou à l’époque. 

Anouk Aimée avec Élie Chouraki, 27 septembre 1978. Archives nationales à Montréal, fonds La Presse (P833, S2, D10). Photographe non identifié.

Le Bureau de la censure y insère également un « prologue » dans lequel les censeurs inventent de toutes pièces le mariage du peintre et de sa maîtresse. Les censeurs indiquent par ailleurs de manière erronée, deux fois plutôt qu’une, que le peintre Modigliani (orthographié « Mogliani ») est mort en 1919 alors qu’il est décédé en 1920. 

Une censure qui remonte à loin

Le cinéma a connu une histoire mouvementée au Québec, notamment à cause de la censure de l’Église catholique québécoise. Aux premiers temps des salles de cinéma, les autorités ecclésiastiques enjoignent à leurs fidèles de s’abstenir de projeter des films le dimanche ou même d’y assister. Une interdiction qui sera élargie à toutes les autres confessions dès l’année suivante, jusqu’à la contestation du premier projectionniste québécois, Léo-Ernest Ouimet, devant la Cour suprême du Canada en 1912.

L’année suivante, le Bureau de la censure des vues animées de la province de Québec est créé. Son rôle est de s’assurer que les films présentés respectent les bonnes mœurs et, sinon, de veiller à en retirer les scènes problématiques.

Aujourd’hui, les productions cinématographiques sont soumises au classement de la Régie du cinéma. Ce classement indique l’âge requis pour visionner les films, allant d’un public général à un public adulte. Cependant, certains films reçoivent encore un statut « refus de classement » signifiant qu’ils « dépasse[nt] le seuil de tolérance de la société québécoise » et qu’ils ne peuvent être diffusés ni vendus dans leur forme originale.   

Pour aller plus loin

Le fonds Régie du cinéma, conservé aux Archives nationales à Montréal, compte quelques milliers de fiches de censure qui témoignent d’une époque au cours de laquelle les pellicules étaient régulièrement tronçonnées afin de correspondre aux valeurs morales de la société. La Régie du cinéma, abolie en 2015, cesse d’appliquer la censure dans les films en 1967.

Des documents pertinents, dont des photographies, sont conservés dans le fonds Roland Laroche et Hélène M. Stevens, dossier Semaine du film français, aux Archives nationales à Montréal.

Histoire générale du cinéma au Québecd’Yves Lever, Montréal, Boréal, 1988.

Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, sous la direction de Pierre Hébert, Yves Lever et Kenneth Landry, Montréal, Fides, 2006, p. 471-473.

La saga des interditsde Nicole Boisvert, Outremont, Libre expression, 2006.

Anastasie, ou la censure du cinéma au Québec, d’Yves Lever, Sillery, Septentrion, 2008.

Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Instantanés de BAnQ, le 22 avril 2016.