Martin Dufour, artisan de caractères

Martin Dufour est un nom bien connu pour quiconque s’intéresse à la typographie et à l’édition artisanale au Québec. Ce nom se trouve au colophon de plusieurs dizaines de livres d’artistes conservés par BAnQ. Le colophon, c’est un peu comme le générique de fin d’un livre d’artiste. On y trouve toutes les informations au sujet des personnes qui ont participé à la production de l’œuvre : graveurs, imprimeuses d’art, typographes, autrices, relieurs, etc. Le nombre d’exemplaires imprimés, le type de papier et la police choisie pour imprimer le texte y sont également consignés. Comme le veut la tradition, artiste et auteur sont les seuls à signer l’ouvrage, à la mine de plomb. 

Dans les livres d'artiste auxquels Martin Dufour a contribué, il est mentionné que le texte a été « composé » par celui-ci, dans son atelier de Montréal. Qu’entend-on par cela? Quand on parle de « composition typographique », on fait référence à une technique qui remonte au tout début de l’invention de l’imprimerie : la composition manuelle à l’aide des caractères mobiles. Du milieu du XV^e siècle, au moment où Gutenberg créa cette technique, jusqu’à aujourd’hui, ce sont la même rigueur et la même patience qui guident le composeur qui s’aventure dans l’impression manuelle d’un texte, une petite lettre de métal à la fois, ligne après ligne. C’est ce savoir-faire que Martin Dufour a contribué à préserver, par l’édition d’ouvrages imprimés artisanalement à très petits tirages à partir des années 1980. Il en résulte une exceptionnelle qualité d’impression des textes, dont le relief est perceptible sur la page. 

Afin de souligner ce labeur qui reste trop souvent dans l’ombre, nous vous proposons d’explorer, par l’entremise de leur police de caractères, trois livres d’artistes dont la conception graphique et l’impression typographique ont été réalisées par Martin Dufour. Vous reconnaîtrez probablement certaines polices, que l’on trouve encore aujourd’hui dans les logiciels de traitement de texte! 

Dans Mémoire et cri génétique, l’artiste René Derouin propose neuf gravures sur bois extraites d’une murale du même nom. La murale, quant à elle, a été créée à la suite d'une expérience qui le marquera pour toujours : le tremblement de terre qui secoua le Mexique le 18 septembre 1985. Pour composer la fable inédite de Michel-Pierre Sarrazin, Martin Dufour choisit Times Roman. Bien que le terme soit apparu au XX^e siècle, la police Times Roman existe depuis les débuts du journal The Times à Londres en 1785. Elle a eu un rajeunissement de design et de nom (Times New Roman) en 1931 par Stanley Morison et a été, pendant près de 10 ans, la police par défaut de tous les produits de Microsoft. Elle a été remplacée par Calibri en 2007.

L’empreinte du bleu, c’est d’abord une suite poétique de la grande poète Hélène Dorion. Dans cette version publiée par les Éditions du Noroît, elle est accompagnée de 10 gravures, des pointes-sèches de l’artiste Marc Garneau. Pour ces textes, Martin Dufour a sélectionné un caractère classique : le Garamond. Garamond est l’une des polices les plus connues et les plus copiées depuis sa création vers 1530 par Claude Garamond, premier fondeur commercial de caractères d’imprimerie. Cette police se caractérise par la présence d’un empattement supérieur, toujours oblique. L’empattement est cette petite ligne ajoutée à l’extrémité des lettres. De 1984 jusque vers le milieu des années 1990, la compagnie Apple utilise la police Apple Garamond comme police d’entreprise pour ses slogans et son marketing.

Le livre Les croix de chemin est l’œuvre d’un trio composé de Suzie Pilon, qui signe les gravures, de Michel X Côté, qui signe le texte principal, et de Gilles Boileau, géographe et historien. Celui-ci propose un historique des croix de chemin, ces installations extérieures qui marquent le paysage québécois, un patrimoine religieux qui tend à disparaître. C’est une police tout à fait moderne que choisit Martin Dufour : le Tempo. Tempo est une police sans empattement créée en 1930 pour la Ludlow Typograph Company, pionnière dans la création d’équipements d’imprimerie. Cette police géométrique fait partie de la même famille que le Futura, emblématique du design Bauhaus. Cette dernière est une des polices les plus utilisées dans le monde, du message porté sur la lune par la NASA en 1969 en passant par la police exclusive d’Ikea jusqu’en 2009. 

Pour en connaître plus sur Martin Dufour et son legs, nous vous suggérons de consulter cet article de Jean-François Nadeau paru dans le journal Le Devoir du 19 mars 2024 : Martin Dufour, une vie pour la typographie. 

Nous vous invitons également à visiter l’exposition permanente Mémoire de papier, dans le hall de la Bibliothèque nationale (site Rosemont), exposition à laquelle Martin Dufour a contribué, pour en savoir plus sur l’art de la typographie. 

Les ouvrages de Martin Dufour conservés par BAnQ peuvent être consultés en ligne ou sur place, sur rendez-vous. Contactez-nous via le formulaire Poser une question.