Homme emballant un fromage.
Emballage du fromage Gouda chez les Pères trappistes de Mistassini, 1951. Archives nationales à Québec, fonds Ministère de la Culture et des Communications (E6, S7, SS1, P86875). Photo : Omer Beaudoin.

Omer Beaudoin, agronome-photographe du Québec rural

Agronome au département de l’Agriculture du Québec, Omer Beaudoin (1912-2005) immortalise, au moyen de son appareil photographique, les gestes de la terre des cultivateurs. Les fermes sont sublimées par son objectif, mis au service du concours du mérite agricole pendant près de 20 ans.

À rayons ouverts Arts visuels Histoire du Québec (1945-1979)

Corvée familiale aux champs, run de lait à cheval, décolletage des betteraves à sucre, tissage artisanal ou mise en conserve des récoltes du jardin potager : ces scènes rurales ne sont que quelques-uns des instantanés d’histoire capturés par Omer Beaudoin. Agronome de formation, celui-ci est l’auteur de près de 7000 photographies conservées dans le fonds d’archives de l’Office du film du Québec[1]. Pris pour le compte du département de l’Agriculture, tous ses clichés dépeignent le travail à la ferme, tel que pratiqué entre les années 1940 et 1960.

Hommage en noir et blanc à l’agriculture et aux gens de la terre, l’œuvre d’Omer Beaudoin révèle un photographe d’une grande finesse, au regard ethnographique. Sa fille Kèro, photographe renommée entre autres pour ses portraits d'écrivaines et écrivains québécois, a accepté de partager ses souvenirs à propos de son père[2]. Ce sont de précieux compléments aux sources primaires par moments silencieuses. Une fois réunies, ces informations mettent en lumière l’histoire, jusqu’alors méconnue, des photographies d’Omer Beaudoin.

[1]. Ce nombre est cependant en deçà de la production réelle réalisée par Omer Beaudoin.

[2]. Merci à Kèro Beaudoin, qui a pris part au projet de ce texte avec enthousiasme, a fourni le portrait de ses parents et a offert ses lumières pour la sélection des photographies accompagnant l’article.

De l’agronomie à la photographie

C’est à Saint-Samuel-de-Horton, municipalité du Centre-du-Québec, qu’Omer Beaudoin voit le jour le 1er juin 1912. Fils de Félix Beaudoin et d’Anna Lajoie, il est le deuxième d’une fratrie de quatre enfants. Vers 1914, la famille déménage à Macamic, dans la foulée de la colonisation de l’Abitibi. Omer Beaudoin y passe une partie de sa jeunesse, mais une série d’événements, déclenchée par le décès de son père en 1918, le mène à faire son cours classique au Collège de Lévis.

Après l’obtention de son diplôme en 1931, il s’inscrit à l’Institut agricole d’Oka. Il complète un baccalauréat en sciences agricoles en 1934 et poursuit sa scolarité jusqu’à recevoir une licence en 1939. Doué pour les études et doté d’un esprit scientifique, Beaudoin se lie d’amitié avec certaines figures marquantes de la botanique comme le père trappiste Louis-Marie Lalonde et l’écologiste Pierre Dansereau. Entre-temps, en 1937, Omer Beaudoin et Jeanne Beaudoin (née Ouellette) se marient. Le couple aura deux enfants : Jean et Kèro.

Orge à brasserie chez Jos Hudon. Saint-Denis, comté Kamouraska, 1952. Archives nationales à Québec, fonds Ministère de la Culture et des Communications (E6,S7,SS1,P94052). Photo : Omer Beaudoin.

La carrière de photographe d’Omer Beaudoin se profile à l’horizon lorsqu’il devient employé du département de l’Agriculture, en 1935. À titre d’agronome, il travaille au fil des ans au sein de différentes divisions, comme celle de la protection des cultures. Parallèlement, en 1941, le gouvernement crée le Service de ciné-photographie (SCP), plus tard appelé Office du film du Québec. Le Service réunit la production audiovisuelle et photographique de tout l’appareil gouvernemental. Les films et les photos découlent des commandes des ministères et des départements, qui disposent de leurs propres fonctionnaires chasseurs d’images.

L’avènement du SCP est d’ailleurs profondément lié aux efforts d’agronomes œuvrant dans l’orbite du gouvernement. Dès les années 1920, Joseph Morin, du département de l’Agriculture, promeut le cinéma pédagogique avant d’être nommé à la direction du service, qu’il assumera jusqu’en 1963. L’abbé et agronome Maurice Proulx, qui réalise les premiers films documentaires québécois, participe notablement à son développement. C’est aussi un ancien professeur d’agronomie de Proulx, Adélard Godbout, qui décrète, en qualité de premier ministre du Québec, la mise sur pied du Service de ciné-photographie.

Dans cette conjoncture créatrice, Omer Beaudoin prend l’appareil-photo au nom du département de l’Agriculture : ses premiers clichés remontent ainsi aux balbutiements du SCP, à l’aube des années 1940. Autodidacte, il perfectionne d’abord son art à l’aide de matériel de seconde main. Ses appareils de prédilection sont notamment le Speed Graphic de Graflex et le Rolleiflex. Mettant à profit sa rigueur scientifique, l’agronome apprend aussi les procédés chimiques à la base de la photographie argentique et préfère sa chambre noire aux laboratoires du gouvernement. Dès lors, il développe ses films lui-même; sa femme, Jeanne, veille minutieusement à la retouche.

Les plus belles fermes familiales du Québec

À compter de 1947, Omer Beaudoin est chargé de couvrir le concours de l’Ordre national du mérite agricole. Grâce à ce rôle, le photographe exprimera particulièrement l’étendue de son talent. Instituée en 1890, cette compétition vise à encourager l’agriculture au moyen de récompenses honorifiques, décernées aux cultivateurs les plus méritants du Québec.

Ayant pour mission de documenter les fermes compétitrices, Omer Beaudoin voyage donc aux quatre coins du Québec, à bord de son automobile de marque Austin. À ses côtés, Jeanne l’accompagne invariablement. Dès l’arrivée des beaux jours, ils partent ensemble à la rencontre des agriculteurs et de leur famille. Si leur histoire n’est pas sans rappeler celle du film J. A. Martin photographe (1977), c’est parce que le classique de Jean Beaudin s’en inspire librement. Kèro Beaudoin a fait le récit singulier de la vie de ses parents au réalisateur, à l’époque où tous les deux travaillaient à l’Office national du film du Canada.

Omer et Jeanne Beaudoin visitent alors les exploitations agricoles les plus brillantes de la province, de la Gaspésie à l’Outaouais. Sur le terrain, le tandem se partage le travail, qui débute tôt le matin. Après le premier contact et les présentations cordiales avec la maisonnée, Omer Beaudoin prend des photos sous l’œil du cultivateur candidat tandis que Jeanne Beaudoin s’entretient avec l’épouse de celui-ci, tout aussi indispensable au bon roulement de la ferme. Conformément à la grille d’analyse du concours, l’agronome-photographe capture certains éléments clés : les bâtiments, la cour, les champs, les vergers, les récoltes, les animaux, la machinerie, l’outillage, les travaux ou les arts domestiques.

Une parcelle d’histoire

Omer Beaudoin immortalise en photo ces mérites agricoles jusqu’en 1965. Ses images ornent les pages des rapports annuels de l’épreuve, qui recensent les exploitations agricoles victorieuses. Au cours des années qui suivent, il s’implique comme président du jury et secrétaire de la commission du concours. À ce travail de documentation, Beaudoin apporte sa touche personnelle. Au-delà des points à accorder, il réalise de nombreux portraits des familles rencontrées, avec lesquelles lui et sa femme tissent des liens étroits. Il photographie même à plusieurs reprises certains foyers, qu’il revisite selon le rythme quinquennal de la compétition.

La richesse de l’œuvre d’Omer Beaudoin repose notamment sur l’identification patiente des visages : noms, années et lieux sont spécifiés. Preuve de son respect pour les agriculteurs, il leur transmet ensuite les photos, qu’il développe lui-même. Selon des témoignages récoltés par sa fille, les irremplaçables photographies se transmettent, chez certaines familles, de génération en génération.

C’est aussi à l’histoire du Québec rural qu’Omer Beaudoin, décédé en 2005, laisse un héritage absolument sans précédent. Grâce à son objectif à la fois connaisseur et appliqué, les gens de la terre et les savoir-faire traditionnels du milieu du xxe siècle sont passés à la postérité.

Mise en conserve du maïs chez Émile Létourneau, Saint-Luc, comté de Saint-Jean, 1951. Archives nationales à Québec, fonds Ministère de la Culture et des Communications (E6, S7, SS1, P88835). Photo : Omer Beaudoin.

Cet article est adapté de l’édition papier d’À rayons ouverts numéro 110, publiée en 2022 par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) Pour lire l'ensemble du numéro.