Hommes, femmes et enfants récoltant les raisins
« La récolte du raisin – Les vignobles canadiens » dans « L’Opinion publique », vol. 10, no 44, 30 octobre 1879, p. 519.

L’alcool au Québec. Petit album souvenir

De Jean Talon aux microbrasseries, l’activité vinicole et brassicole se déploie depuis près de 400 ans en territoire québécois. Les images proposent une histoire en raccourci, entre célébration et controverse.

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À l’arrivée des premiers explorateurs français, la vigne sauvage pousse en abondance sur les rives du fleuve Saint-Laurent, notamment sur l’isle de Bacchus (nom donné par Jacques Cartier à l’actuelle île d’Orléans). La déception sera vive : les fruits de Vitis riparia donnent un vin âcre. Quant aux plants de vigne européenne apportés en 1608 par Samuel de Champlain, ils ne survivent pas aux hivers québécois.

Sur les traces de Jean Talon

En 1670, l’intendant Jean Talon crée une brasserie afin de diminuer la dépendance de la colonie envers les coûteuses importations européennes. Bien qu’éphémère, l’entreprise est un signal avancé de l’engouement que connaîtra la bière en terre québécoise.

Au milieu du XIXe siècle, Joseph Knight Boswell, d’origine irlandaise, ouvre sa propre brasserie non loin des vestiges de celle de Jean Talon. Comme en témoigne une carte postale conservée par BAnQ, la Brasserie Boswell a restauré ce qu’elle croit (à tort) être les « Voûtes Talon » et y convie les visiteurs.

Les voutes Talons – Brasserie Boswell, Québec, Canada, carte postale, s. l., s. é., vers 1930.

Naissance d'une industrie

À la même époque, grâce à des cépages hybrides américains, des vignobles s’établissent en terre canadienne. En août 1879 paraît un reportage illustré sur le vignoble de Beaconsfield, à l’ouest de l’île de Montréal, qui compte 2500 plants. La gravure reproduite dans L’Opinion publique fait écho à une nouvelle source de prospérité viticole, qui va toutefois décliner dès la fin du siècle. Il faudra attendre 1939 et Joseph-O. Vandal, considéré comme le père de la viticulture québécoise moderne, pour qu’on produise du vin en abondance. Puis, en 1980, un premier vignoble commercial québécois est établi à Dunham, dans les Cantons-de-l’Est.

La distillerie Melchers de Berthierville s’élevait près du fleuve Saint-Laurent, dans une zone abritée par l’archipel du lac Saint-Pierre. Une belle lithographie en couleurs réalisée par Eugene Haberer au début du XXe siècle témoigne de la fabrication industrielle de spiritueux. Dans une ancienne sucrerie, la filiale canadienne de la célèbre distillerie hollandaise fabrique du gin à base de genévrier et engraisse ses vaches avec les résidus du grain.

Photo : Eugene Haberer , Eugene Haberer
Eugene Haberer, "The Melchers Gin & Spirits Distillery Co. Limited, Berthierville", Qué., lithographie, 53 x 76 cm, s. l., s. é., vers 1900.

De la prohibition à la modération

Une carte postale humoristique des Années folles montre la popularité de Montréal comme destination touristique des amateurs étasuniens de gin, de rye, de bourbon, de whisky. Confrontés à la prohibition, nos voisins du sud en sont réduits à consommer un alcool onéreux et de qualité douteuse dans des débits clandestins. Pourquoi ne pas traverser la frontière pour obtenir le précieux liquide distribué par la Commission des liqueurs québécoise? Créée dans la controverse en 1921 par le gouvernement Taschereau, cette agence gouvernementale devenue la Société des alcools a récemment célébré son premier centenaire.

"In agin, out agin– In good Old Montreal", carte postale, Montréal?, s. é., entre 1921 et 1933.

L’alcool arbore deux visages, celui du plaisir et celui du désarroi. Des messages de tempérance sont diffusés en Nouvelle-France dès le milieu du XVIIe siècle. Vers la fin des années 1830, des prédicateurs persévérants orchestrent une vaste mobilisation contre la consommation d’alcool au Canada français. D’abord moralisatrice, l’approche mise peu à peu sur l’éducation et la sensibilisation. De la promotion de l’abstinence, on passe à des messages de modération qui interpellent les enjeux de santé et de société.

Stratégies publicitaires

Voilà des décennies que les produits de l’alcool suscitent le recours à des techniques publicitaires variées. Ainsi, en 1911, un certain Hormisdas Magnan publie à Québec une brochure intitulée La propagande antialcoolique par la publicité intensive. Son approche, présentée l’année précédente au premier congrès de tempérance du diocèse de Québec, prêche le recours aux médias imprimés, du journal à l’affiche.

Diffusée au début des années 1930, une publicité courtise la gent féminine et célèbre les vertus enzymatiques de la très populaire bière Dow. Ce gage de santé sera brutalement remis en cause en 1966, compromettant l’avenir de la brasserie fondée 176 ans plus tôt par Thomas Dunn. Selon certains journalistes, une enzyme aurait occasionné plusieurs hospitalisations et 16 décès chez les grands buveurs de bière Dow de la ville de Québec. Le sulfate de cobalt – un additif ajouté à la bière pour la faire mousser – sera finalement mis en cause. Plus de deux millions de litres de « la bière qui tue » seront retirés du marché et déversés dans le fleuve Saint-Laurent. Les brasseries concurrentes s’empresseront de grignoter les importantes parts de marché de l’entreprise déchue.

Publicité de la bière Dow dans "Le Bulletin des agriculteurs", 10 décembre 1931, p. 6.

Pendant la Révolution tranquille, des agences québécoises innovent avec des campagnes publicitaires qui ciblent spécifiquement les consommateurs du Québec. Visuels, slogans, messages sont taillés sur mesure. Sans négliger le choix des ambassadeurs de produits, du hockeyeur vedette Maurice Richard à l’humoriste Olivier Guimond. Selon le publicitaire Jacques Bouchard, son agence (BCP) a conçu « la campagne parfaite » avec Lui, y connaît ça1. À la télé, dans les journaux, c’est un hommage aux différents métiers qui rafle plusieurs prix au concours du Publicité Club de Montréal.

Photo : Labatt
Publicité de la bière Labatt 50 avec Olivier Guimond dans "Le Bulletin des agriculteurs", novembre 1965, p. 83.

L’alcool, source de création

Le 21 mars 1979, la compagnie de théâtre des Voyagements convie le public, dans la salle du même nom, boulevard Saint-Laurent, à la première de Broue. Cette comédie convoque une galerie de personnages qui visitent une taverne la veille du jour où celles-ci seront obligées d’admettre les femmes en vertu d’une nouvelle loi québécoise. Le spectacle connaît un succès fou. Avant de céder les planches à un nouveau trio, les comédiens Michel Côté, Marc Messier et Marcel Gauthier ont fait salle comble pendant 38 années, cumulant 3322 représentations et plus de 3 millions de spectateurs.

Photo : Michel Tremblay
Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier pour la promotion de la pièce "Broue", 1982. Archives nationales à Montréal, fonds Les Productions 3M [pièce de théâtre Broue] (P10020). Photo : Michel Tremblay.

L’alcool, source de création

Pour clore cet album, nous avons choisi une étiquette subversive et explosive, sans bouteille, signée Philippe Sicard. Ornée d’une figure guerrière menaçante, l’étiquette affiche une teneur inquiétante en kérosène et huile à moteur. La consigne « Servir bien frappé » laisse ici songeur. Tirée en offset en 14 exemplaires par les Éditions Cul Q, elle est accompagnée d’un bandeau de millésime au monstre grimaçant daté d’avril 1977. Créée trois ans plus tôt sous la direction de Jean Leduc, cette maison d’édition a publié une soixantaine de livres et d’objets qui revisitent les formes traditionnelles de la poésie, du texte et du support2. Les créateurs actuels découvrent à leur tour le format étiquette, réalisant des œuvres visuelles qui ornent plusieurs bouteilles de boissons alcoolisées produites au Québec.

De la culture de la vigne à la contre-culture, ce petit album illustré n’est qu’un apéritif. Les collections de la Bibliothèque nationale recèlent bien d’autres imprimés qui racontent l’histoire de l’alcool au Québec... et qui ont bien vieilli.

À votre santé!

Photo : Philippe Sicard , Philippe Sicard
Philippe Sicard, "Cocktail molotov", livre d’artiste, Montréal, Éditions Cul Q, 1977. Détail.

Cet article est adapté de l’édition papier d’À rayons ouverts numéro 110, publiée en 2022 par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Pour lire l'ensemble du numéro

Sources consultées

Marie-Claude Ducas, Jacques Bouchard, le créateur de la publicité québécoise, Montréal, Québec Amérique, 2014, p. 92.

2 Sophie Drouin, « Quand le livre s’en mêle – Contestation et humour aux Éditions Cul Q », À rayons ouverts, no 86, printemps-été 2011, p. 14-16.