Photographie d’Alban Berson, examinant une carte géographique
Photographie d’Alban Berson, examinant une carte géographique

Un faux dans nos collections?

Une carte géographique offerte par un citoyen à BAnQ s’est révélée ne pas être authentique. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un faux pour autant?

Géographie Cartes géographiques et plans

Dans le domaine des arts picturaux, les faux sont relativement courants. Ce n’est pas le cas dans le milieu des documents anciens. Le niveau de compétence nécessaire pour produire des copies convaincantes est presque inatteignable. Les rares faussaires qui en seraient capables se consacrent préférablement aux œuvres d’art, plus lucratives.

En revanche, on trouve parmi les documents patrimoniaux beaucoup de fac-similés. Un fac-similé est, comme l’écrit le Petit Robert, une « reproduction exacte d’un écrit, d’un dessin ».

Quelle est donc la différence entre un fac-similé et un faux? Matériellement, il n’y en a pas : ce sont des copies ressemblant en tout point, ou presque, à l’original. La différence se trouve dans l’intention du copiste. Tandis qu’un fac-similé est une fidèle reproduction utile pour étudier un document quand on n’a pas accès à l’original, un faux est conçu pour tromper et faire croire qu’on tient en main l’original, généralement à des fins mercantiles.

Plusieurs fac-similés de cartes géographiques sont conservés à la Bibliothèque nationale (site Rosemont). Avant le développement du numérique, c’étaient des outils indispensables pour quiconque s’intéressait à des documents rares, parfois uniques, dont les originaux étaient difficiles d’accès. Certains servaient également d’élément de décoration. 

Des différences avec la carte originale

Dans le cas qui nous intéresse, la carte géographique suspecte  est prétendument l’œuvre du géographe flamand Jodocus Hondius (1563-1612) :

A priori elle diffère peu de l’originale conservée à la Bibliothèque nationale (site Rosemont) :

Les couleurs, toujours ajoutées à la main sur les cartes anciennes, ne sont pas  significatives. À l’œil nu comme à la table lumineuse, le papier chiffon est d’une facture très similaire au travail d’un papetier du XVIIe siècle. En passant le doigt sur l’image, on sent les reliefs indicateurs d’un procédé d’impression par gravure. Ceci exclut les techniques modernes de type laser. En revanche, l’absence de pliure au milieu est suspecte, s’agissant d’une carte censée avoir été extraite d’un atlas. Mais après tout, il pourrait s’agir d’un exemplaire tiré à part.

La clé de l’énigme

Ce qui révèle qu’il ne s’agit pas d’un authentique document ancien, c’est la volonté du copiste de dater une carte qui, originellement, ne l’était pas. En effet, en haut à gauche, dans le petit cartouche situé au-dessus du navire, il inscrit « Anno 1588 » :

Or, la plaque qui a servi à produire plusieurs éditions de cette carte durant 30 ans a été gravée en 1606. De plus, certains ornements sont inspirés des illustrations de Théodore de Bry, un graveur français qui ne publie ses ouvrages sur l’Amérique qu’à partir de 1590. Cette datation est donc incongrue. Sur l’original, ce petit cartouche ne contient pas de date, mais la description en latin du navire japonais représenté en dessous :

L’intention du copiste

Le producteur du document a-t-il antidaté la carte pour impressionner les acheteurs potentiels? Auquel cas il s’agirait d’une contrefaçon éhontée. Ou bien a-t-il délibérément altéré cette partie de l’information pour distinguer sa production destinée à un usage décoratif de l’œuvre originale de Jodocus Hondius?

La deuxième hypothèse semble plus vraisemblable, car si le copiste avait voulu tromper le public, il aurait copié l’œuvre originale dans ses moindres détails, sans modifier le petit cartouche.

On ignore l’identité de cet habile artisan. Le seul indice de son identité qu’il nous ait laissé est ce filigrane visible à la table lumineuse représentant une femme nue ou une nymphe assise au creux de la lettre C :

Toute personne qui serait en mesure d’associer ce mystérieux emblème à son propriétaire est invitée à collectionspatrimoniales [at] banq.qc.ca (nous contacter).

La prudence est de mise

Il y a quelque temps, un autre exemplaire de cette réimpression moderne portant la mention « Anno 1588 » était en vente sur eBay au prix de 335 $. Une somme sujette à caution : bien trop modeste pour une véritable carte de Hondius (qui se négocie autour de 4500 $) mais beaucoup trop élevée pour un fac-similé en mauvais état de conservation et non encadré.

Pire, il arrive que des revendeurs cherchent à faire passer pour des originaux des documents ayant clairement été produits comme fac-similé. Certains autres sont de bonne foi, persuadés qu’ils détiennent un original en l’absence de toute expertise qui pourrait démontrer le contraire.

Fort heureusement, les cartothécaires savent distinguer les fac-similés des originaux. De plus, rappelons-le, les faux sont rarissimes parmi les documents anciens. De fait, les faux de qualité sont si inusités qu’ils ont paradoxalement éveillé l’intérêt de certains collectionneurs, amateurs d’éditions insolites.