Vue de la chute de la rivière Vauréal sur l'île d'Anticosti
Chutes de la rivière Vauréal. 1896. Archives nationales à Sept-Îles, fonds Menier (P2, P73). Photo : Georges Martin-Zédé.

Anticosti fait son entrée à l’UNESCO

Si Anticosti est connue pour sa beauté sauvage, ses chevreuils, ses naufrages ou les  personnages mystérieux qui ont alimenté ses légendes aussi nébuleuses qu’extraordinaires, c’est pour ses qualités géologiques et paléontologiques exceptionnelles que l’île fait maintenant les manchettes.

Géographie Histoire du Québec Voyage Environnement Sciences naturelles

Reconnaissance mondiale

Le 19 septembre 2023, dans le cadre de sa 45e session, à Riyad, en Arabie saoudite, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a ajouté l’île d’Anticosti à sa prestigieuse liste en raison de son caractère représentatif des grands stades de l’histoire de la Terre [note 1] . Le comité a déclaré que ce bien naturel « constitue l’enregistrement paléontologique le plus complet et le mieux préservé de la première extinction massive de vie animale, il y a 447-437 millions d’années [note 2] ».

Le littoral de l’île – près de 550 km de côte en excluant le village de Port-Menier – ainsi que les lits et les principaux embranchements des rivières Vauréal et Jupiter seront ainsi préservés des activités humaines et des désastres naturels qui pourraient les altérer. Mais ces rivières n’ont pas toujours été inexplorées et inexploitées. Elles ont joué des rôles importants dans le développement de l’île, notamment sous le règne de son propriétaire, Henri Menier.

Jupiter, la rivière prisée d’un chocolatier

L’origine du nom de la rivière Jupiter demeure incertaine. Selon certains, il rappelle un navire qui y aurait fait naufrage. Selon d’autres, ce même navire aurait simplement été stationné dans la baie où la rivière se déverse. Quoi qu’il en soit, elle est surtout connue pour la pratique de la pêche au saumon. Plus que tout autre adepte, Henri Menier (1853-1913), propriétaire de l’île, a fréquenté assidûment la rivière pour taquiner le poisson.

Héritier d’une famille renommée de chocolatiers français, Menier acquiert l’île à la fin de l’année 1895. Lors de son premier voyage à Anticosti, en juin 1896, il se rend à la rivière Jupiter pour pêcher. Il constate alors que les moustiques et les mouches noires sont un problème majeur, auquel il faut remédier : incommodés par ces bestioles, les pêcheurs décident de quitter la rivière plus tôt que prévu. La famille Menier introduit donc sur l’île la grenouille léopard pour lutter contre les insectes piqueurs.

Mais ne pêche pas qui veut à la rivière Jupiter : celle-ci est réservée à la famille Menier et à ses invités. Lors de leurs excursions sur la rivière, les convives et leurs hôtes prennent place dans une barge à fond plat, protégée du soleil et des intempéries par un dais en toile. Les effets personnels et les bagages sont placés dans une autre barge tirée par des chevaux. Un chalet et un camp sont construits pour les invités. On y ajoute une neigère (un bâtiment où l’on conserve le poisson et les appâts dans la glace ou la neige), une maison pour le gardien résidant et sa famille, et une ligne télégraphique pour assurer la communication avec l’administration de l’île.

Henri Menier pêchera sur la rivière lors de ses rares venues sur l’île entre 1896 et 1905. Durant ces visites, de prestigieux invités foulent le lit de gravier de la rivière, admirant probablement les fossiles le long des berges. Une ribambelle d’avocats, de juges, de députés, de ministres, d’industriels et d’amis en provenance d’Europe séjourneront à Anticosti, dont le gouverneur général du Canada Albert Grey.

Une route le long des rivières Jupiter et Vauréal

Désirant développer son domaine et mettre à profit les ressources d’Anticosti, Menier prévoit la construction d’une route. C’est qu’il est difficile de se déplacer sur l’île, et cet inconvénient est un frein à son projet de développement économique. On décide qu’une route est-ouest est à privilégier, sans exclure la construction d’une route transversale, dans l’axe nord-sud, le long des rivières Jupiter et Vauréal. En mars 1901, une expédition est donc mise sur pied pour cartographier le territoire des rivières Vauréal et Jupiter, vérifier si le terrain permet la construction d’une route et établir la source de la rivière Jupiter. Mais l’ingénieur aux commandes de l’expédition se trompe et descend le long de la rivière Chicotte. Il faudra attendre juillet 1903 pour que Menier et son équipe remontent la rivière Jupiter jusqu’à la source, lors d’une escapade de pêche au saumon.

N’hésitez pas à consulter les nombreux documents sur l’île d’Anticosti dans les différents édifices de BAnQ et sur BAnQ numérique. Aux Archives nationales à Sept-Îles, Geneviève Rauzon-Charbonneau, technicienne en documentation, s’est fait un plaisir de sélectionner quelques livres sur l’histoire et la nature d’Anticosti qui sont accessibles aux visiteurs. Ces ouvrages abordent notamment les nombreux naufrages qui ont marqué ce secteur du golfe Saint-Laurent. On estime que plus de 400 naufrages y ont eu lieu, dont celui du célèbre Granicus, rapporté dans les écrits de Placide Vigneau, qui a couché sur papier le récit de Basile Giasson, témoin de la macabre découverte. Ces tragédies ont certainement accéléré l’érection de phares visant à assurer une meilleure sécurité pour les navires sillonnant le golfe.

Les photographies sélectionnées pour cet article ne sont qu’un échantillon des documents conservés aux Archives nationales à Sept-Îles portant sur l’île d’Anticosti et son histoire. Elles ont été choisies pour souligner l’inscription de l’île sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Sources consultées :

GILBERT, Rémy, Mon île au Canada : Anticosti et son histoire sous Henri Menier, 1895-1913, Québec, Éditions GID, 2013, p. 90-91 et 202-371.

JOBIN, Luc, Anticosti m’est racontée, Bromont, Luc Jobin, 2021, p. 114.

McCORMICK, Charlie, Anticosti, Saint-Nazaire-de-Chicoutimi, Éditions JCL, 1982, p. 123.

La revue d’histoire de la Côte-Nord, Baie-Comeau, Société historique de la Côte-Nord, juin 2014, nos 57-58, p. 82 à 91.

Notes

Note 1 :« Les critères de sélection », UNESCO (consulté le 20 septembre 2023).

Note 2 : « Anticosti », UNESCO (consulté le 20 septembre 2023).