Un clown souriant pose devant une bannière sur laquelle est inscrite The Jester
The Jester, Montréal, G. E. Desbarats et F. J. Hamilton, 22 mars 1878, p. 1.

1878 : drôle d’année pour la presse québécoise

En 1878, 21 journaux voient le jour au Québec, et plus de la moitié prônent l’humour comme ligne éditoriale. Comment expliquer cette avalanche de publications et quels sont ces journaux à la verve satirique? Tour d’horizon.

Histoire du Québec (1867-1944) Médias Revues et journaux

Un contexte favorable

Sur le plan politique, au Québec, 1878 est marquée par une polémique autour de la loi Angers, qui oblige plusieurs municipalités à participer à la construction du chemin de fer de la rive nord de Montréal. Cette dispute fera couler beaucoup d’encre, mais peut-elle expliquer toute cette agitation de plumes en cette seule année? Il faut dire qu’au début des années 1870, la presse écrite plus largement diffusée gagne la faveur du public en encourageant les débats d’idées. L’arrivée des presses rotatives au Québec permet également d’augmenter le tirage tout en réduisant les coûts de production1. Les hebdomadaires humoristiques, bien qu’ils aient parfois une vie éphémère, tirent parti de ce contexte bien particulier.

La presse satirique

Les pages des journaux satiriques entremêlent anecdotes bon enfant, poèmes teintés de drôlerie, jeux de mots faciles et faits politiques traités sous l’angle de la moquerie. Les en-têtes attirent l’œil; il s’agit souvent de belles gravures exécutées par d’excellents artisans. On peut se procurer ces journaux pour un à cinq cents le numéro.

Entre perroquet, crapaud, coq, cochon et castor national, la prédominance des titres aux noms d’animaux étonne. Si on ne peut avancer d’hypothèse pour expliquer ce courant, il va de soi que les éditeurs justifient leur choix avec humour : « Le Crapaud est le titre de notre journal, comme vous voyez il n’est pas pompeux, il n’est pas séduisant, il est plutôt modeste comme son image2 … »

Les journaux francophones

Le Cancan, un hebdomadaire illustré, est publié à Québec d’avril à juillet 1878. Selon son directeur, G. R. Grenier3, « le journal est appelé à une grande tâche : désopiler la rate de l’humanité4 ». Dès le premier numéro, une mise en garde est donnée : les propos des collaborateurs éviteront de porter atteinte à la vie privée d’autrui. Il faudra attendre trois numéros pour voir apparaître la vignette représentant deux commères à leur fenêtre échangeant les derniers « cancans ».

Détail de Le Cancan, 27 juillet 1878, p. 1.

La caricature amusante de l’édition du 27 avril 1878, est signée Charles Montminy et met en scène le conflit politique de l’heure. Elle représente Henri-Gustave Joly de Lotbinière et Charles-Eugène de Boucherville, deux rivaux, tenant une balance en équilibre. Fait plutôt cocasse, le résultat de l’élection générale du 1er mai sera le plus serré au Québec depuis la Confédération.

Détail de Le Cancan, 27 avril 1878, p. 3.

Le Farceur, fondé le 26 octobre par Honoré Beaugrand, a connu deux vies : d’octobre 1878 à février 1879, puis d’avril 1883 à mars 1884. C’est certainement le journal humoristique qui a connu le plus grand succès à cette époque. Ses caricatures ainsi que son frontispice sont parmi les plus réussis sur le plan visuel. La gravure au burin, exécutée par la firme Stuart Relief, y est certes pour quelque chose. La qualité exceptionnelle de son en-tête fera d’ailleurs des jaloux et sera même parodiée par Le Grognard en 1881.

Détail de Le Farceur, 26 octobre 1878, p. 1.
Détail de Le Grognard, 24 décembre 1881, p. 1.

Les anglophones ne sont pas en reste

Les journaux humoristiques publiés en cette année 1878 ne sont pas exclusifs aux francophones. Quatre journaux anglophones paraissent également :

The Jester jouit d’une grande popularité. Publié par George E. Desbarats et Fred J. Hamilton pendant plus d’une année, il cessera de paraître en 1879. Ses illustrations et son en-tête gravés au burin témoignent de sa qualité. À la une, le bouffon appuyé sur un secrétaire donne le ton. Non Sense se reconnaît par son en-tête illustrant un individu bouche ouverte, bras étendus et corps petit et fin. La devise est limpide : « No sense is better than no cents » (pas de sens vaut mieux que pas de cents). Selon l’historien Horace Têtu, seulement quatre numéros ont été publiés en juin et juillet 18787.

Pour aller plus loin, explorez les journaux humoristiques parus en 1878 ainsi que le numéro sur l’humour au Québec de la revue À rayons ouverts, no 92, printemps-été 2013.

Sources consultées

1 Éric Leroux (dir.), 1870, du journal d’opinion à la presse de masse – La production industrielle de l’information, Montréal, Petit musée de l’impression/CHM, 2010.

2Le Crapaud, vol. 1, n° 1, 7 juin 1878, p. 2.

3 Selon nos recherches dans l’Annuaire Marcotte de 1878, il pourrait s’agir de Gustave Grenier, greffier de l’Assemblée législative.

4Le Cancan, Québec, P. Larose et Cie, vol. 1, n° 1, 12 avril 1878, p. 2.

5Le Perroquet, vol. 1, n° 1, 27 août 1878, p. 1.

6Le Perroquet, vol. 1, n° 1, 27 août 1878, p. 2.

7Horace Têtu, Historique des journaux de Québec, Québec, s. é., 1889, p. 84.