Voyages et découvertes : la vie extraordinaire d’Aimée Deschênes

Entre 1905 et 1914, Aimée Deschênes reçoit des centaines de cartes postales montrant ses multiples adresses. De Paris à Berlin en passant par Zurich, cette institutrice originaire de Saint-Eugène de l’Islet au Québec multiplie les escapades. Découvrez l'histoire de cette globe-trotteuse avant l'heure!

Histoire du Québec (1867-1944) Voyage Cartes postales
L'image de la carte postale montre un paquebot sur l'eau arrivant au port de Liverpool.

Dans le fonds Famille Dionne-Couillard-Dupuis se trouvent plusieurs centaines de cartes postales. Certaines s’adressent à une certaine Aimée Deschênes et témoignent de ses voyages à travers le monde – un fait assez rare pour une femme au début du XXe siècle. Mais qui était cette mystérieuse et infatigable voyageuse?

Origines et jeunesse

Aimée Deschênes est née le 3 novembre 1875 à Saint-Jean-Port-Joli, en Chaudière-Appalaches. Elle est la fille de François Deschênes, un marchand, et de Caroline Letellier de Saint-Just. Elle grandit dans une famille aisée et reçoit une éducation qui lui permet de devenir institutrice. Elle vit avec sa famille à Saint-Eugène, un petit village de la région de L'Islet, selon le recensement canadien de 1901. 

Voyages et correspondances

Les cartes postales découvertes dans le fonds d’archives témoignent de l’extraordinaire périple d'Aimée Deschênes au cours de sa vie. Ces précieux témoignages datant pour la majorité des premières décennies du XXe siècle dessinent le portait d’une femme qui voyage aussi bien en Europe qu'en Amérique du Nord. Les adresses de destination mentionnées sur ces cartes révèlent qu'Aimée Deschênes a vécu en France, en Allemagne, en Suisse et aux États-Unis. Ses correspondants se comptent par dizaines. La correspondance est écrite principalement en français, mais certains documents en anglais ou en allemand laissent penser qu'Aimée comprenait aussi ces deux langues. 

C’est d’abord à Berlin qu’apparaît la trace d’Aimée dans les premières cartes postales qui lui sont adressées. L’une d’elles est même signée par Frieda Fisher, fondatrice du Musée des arts d’Asie orientale de Cologne. Le périple d’Aimée en Europe la mène en juillet 1907 dans la haute société de Munich où elle séjourne chez la baronne Von der Tann.

Deux mois plus tard, elle s’installe plus au nord en Allemagne, à Halberstadt, dans la clinique de Hans Kehr, pionnier de la chirurgie de la vésicule biliaire dans ce pays, chez qui elle résidera jusqu’en juillet 1908.

Mais le voyage continue d’appeler Aimée, cette fois-ci en France..., Elle s’établit dans le village de Bléré à partir de juin 1908, au manoir La Grisolette, propriété de la famille d'Albert Godde, un riche fabricant de tissu. En avril 1909, elle séjourne au Pensionnat Grandmont de Tours. Son parcours la mène finalement à Paris, à la prestigieuse université de la Sorbonne, comme le révèlent les cartes postales qu’Aimée reçoit en novembre 1909. Elles sont envoyées au Bureau des renseignements scientifiques de la Sorbonne, où elle travaillerait comme interprète à l’époque où Marie Curie enseigne la physique générale et la radioactivité. Qui sait si ces deux femmes se sont rencontrées?

En plus de son rôle d'interprète à la Sorbonne, Aimée a probablement travaillé comme préceptrice. Elle était donc chargée de l’éducation des enfants de certaines familles fortunées en Europe. Une carte postale suggère d’ailleurs qu'elle donnait des cours de français. Cette activité pourrait expliquer ses fréquents changements d'adresse. Son expertise en langues et son rôle d'éducatrice l'ont amenée à voyager et à résider dans plusieurs pays, où elle a laissé une impression durable sur ses élèves et correspondants, comme en témoignent les nombreuses cartes postales reçues.

Arrivée aux États-Unis

Le 23 janvier 1913, Aimée débarque à Boston du navire Devonian après une traversée depuis Liverpool, en Angleterre. Une recherche dans les archives américaines a permis de retrouver une demande de citoyenneté datée de 1922 d’Aimée Deschênes au service de naturalisation des États-Unis. Ce document nous offre enfin un portrait de cette grande voyageuse : une femme non mariée de 1,65 m, aux cheveux bruns et aux yeux gris qui travaille comme enseignante. À 46 ans, son statut de célibataire, peu commun pour l'époque, était alors considéré comme acceptable dans certains métiers comme le sien

Entre mars et septembre 1913, certaines cartes postales portent l'adresse de la résidence de William Goodsell Rockefeller à Greenwich au Connecticut. Aimée Deschênes donnait-elle des leçons de français à la célèbre famille Rockefeller? 

En 1925, Aimée vit à New York et obtient alors la citoyenneté américaine. En effectuant des recherches approfondies, nous avons pu identifier Aimée Deschênes dans le recensement américain de 1940. Elle habite toujours dans la ville qui ne dort jamais, au cœur de Manhattan, sur l’avenue Broadway. Elle a 64 ans et se déclare professeur de français et célibataire. Parmi ses voisins, on peut trouver plusieurs chanteurs et professeurs de chant.

Un mystère non résolu

La dernière carte postale reçue par Aimée Deschênes dans nos archives date de 1914 alors que la globe-trotteuse vit sur la côte Est des États-Unis. Cette dernière a une adresse de résidence au 145 de la rue Saint-Jean à Québec, mais elle semble se déplacer souvent vers les États-Unis. Il est difficile de croire que la généreuse correspondance d’Aimée Deschênes cesse subitement. C’est probablement en 1914 que les cartes postales sont données par Aimée à un membre de la famille Dionne-Couillard-Dupuis qui les confiera plus tard à BAnQ. 

La vie d'Aimée Deschênes reste en grande partie un mystère. Les cartes postales sont les seuls témoignages de son existence extraordinaire, de ses voyages et de ses correspondances à travers le monde. Cette institutrice de campagne a vécu une vie bien au-delà des frontières de son village natal dans la région de L’Islet, laissant derrière elle une trace unique dans le patrimoine québécois.