Aux derniers instants du 31 décembre 1999, le monde devait s’arrêter de tourner en raison d’un certain virus informatique. Or, il se réveilla le 1er janvier… inchangé. Vingt-cinq ans plus tard, retour sur ce non-événement en quatre manchettes de journaux et un article de magazine de l’époque.
Prêt… 11 mois avant l’heure H
Paru dans Le Devoir, le 18 janvier 1999, l’article Les fous du bogue aborde lucidement le sujet. Entre la peur (fondée ou pas) et la confiance (aveugle?) : la question d'un grand bogue informatique est assurément dans l’air du temps, plus d’un an avant l’échéance, et ce n’est pas pour autant rassurant, affirme-t-on : « On peut trouver une foule de bonnes raisons de s’inquiéter en naviguant sur Internet ces jours-ci. Le répertoire Yahoo! indique que plus de 500 sites s’intéressent déjà à la question. » L’auteur fournit d’ailleurs une liste de signets pour lecteurs curieux… ou anxieux!
Conclusion, sur une note légèrement ironique : « S’il ne se passe rien de spécial au passage de l’an 2000, on pourra alors pester contre les oiseaux de malheur qui nous ont fait peur inutilement. Mais si les problèmes et les retards se multiplient, on pourra alors s’en prendre aux informaticiens, dont les systèmes informatiques n’ont jamais été conçus pour gérer des sociétés aussi complexes que les nôtres. Dans les deux cas, on continuera d’agir dans l’illusion que notre société peut être parfaite. »
Le point sur le bogue avec Québec Science
Dans son numéro de novembre 1999 (voir Le point sur le bogue, p. 24), Québec Science aborde le sujet méthodiquement, rappelant la nature du bogue et servant un état des lieux somme toute rassurant – des mesures ont été prises autant dans le secteur privé que public. Reste que, sans boule de cristal, on devait malgré tout reconnaître la part hypothétique des scénarios envisagés.
Sur le plan de la sécurité publique, le souvenir encore vif (à l’époque) d’autres crises majeures commande la prudence : « Au Québec, le réseau d’urgence du ministère de la Sécurité publique sera en alerte dès le 28 décembre. Après la leçon de la tempête de verglas de janvier 1998 et des inondations du Saguenay, on surveillera davantage les points critiques : eau potable, approvisionnement en nourriture, services d’urgence et secteur énergétique. »
Et du côté de la Toile? « On le dit capable de survivre à une attaque nucléaire... mais le grand réseau Internet pourra-t-il survivre au grand méchant bogue ? […] L’Internet Society (ISOC) a mis sur pied un groupe de travail pour étudier la question. Son rapport, publié en juin dernier, est optimiste : la majorité des protocoles d’Internet sont conformes à l’an 2000. Cité dans le quotidien français Le Monde, Vinton Cerf, le cofondateur d’Internet, est lui aussi confiant : ‘’Si je ne vois pas de crash majeur, je m’attends à de nombreux petits dysfonctionnements tout au long de l’année 2000 (courriel, langage HTML, Java, etc.). ‘’»
Célébrations du dernier jour (?)
« Le dernier jour », titre discrètement Le Devoir du 31 décembre 1999. Mais l’œil se porte plutôt sur la manchette « Planète 2000 », surplombant un « Bulles et bogue » rappelant que le 31 décembre restait une veille du jour de l’An, traditionnellement festive :
« Confettis dans une main, flûte de champagne dans l’autre, il ne reste plus qu’à attendre le moment zéro. Pour célébrer à minuit ce soir à Montréal, les fêtards ont l’embarras du choix, du bal le plus guindé à la virée à rabais. Et tandis que les confettis se mêleront aux flocons de neige et aux bulles du vin pétillant, une bonne partie des Montréalais sera sur les dents : et si le bogue n’était pas une blague? Une chose est sûre, personne dans les services d’urgence ne prend la nuit prochaine à la légère. Des simples bagarres de taverne entre fêtards éméchés à l’attentat terroriste paralysant la moitié de la ville, tout est possible... »
Le quotidien ne semblait pas trop s’en faire, cela dit, et s’était donné congé de publication jusqu’au… 4 janvier!
Pas la catastrophe redoutée
« Pas vu le fameux bogue! » peut-on lire à la une de La Presse, le 3 janvier. « ‘’Rien à signaler’’. ‘’Aucun incident, notre personnel est libéré à compter de...’’ Les dépêches se suivent, toutes aussi rassurantes les unes que les autres. Quelques incidents mineurs ici et là, et encore, il faut bien chercher. Le grand bogue appréhendé n’a pas eu lieu. »
Ce ne fut vraiment, mais vraiment pas la catastrophe redoutée…
« Comparé à ce qu’on appréhendait, tout s’est donc passé jusqu’à maintenant comme sur des roulettes, même dans les hôpitaux où l’on travaille avec quantité d’ordinateurs sophistiqués. ‘’Les seuls problèmes que l’on a noté [sic] dans le monde depuis minuit le 1er janvier, ce sont des problèmes d’affichage de dates. Rien qui empêche les machines de fonctionner ou qui mettent [sic] la vie des patients en danger. C’est un problème qui est apparu à certains endroits, mais qui a été facilement contourné, notamment en changeant l’année pour 1995’’, souligne Jean-Maurice Douesnard, physicien et président du Centre de vigie planétaire. »
Bye bye bogue
Le Soleil s’est levé comme à son habitude, le 1er janvier 2000. Son édition spéciale « lendemain de veille » propose une couverture exhaustive : articles à saveur locale et internationale, chroniques d’humeur, billets…
On avait même affecté un chroniqueur (« Monsieur Bogue »!) à la couverture « pratico-pratique » du grand « mal à puces ». Ordinateur, tout beau. Téléphone, aussi. « Finalement, le plus gros bogue de la soirée aura été la voiture qui reste prise dans le banc de neige ». Et « rien comme de l’huile de bras dans de tel [sic] cas pour se sortir de l’embarras. Bogue année 2000! »