Numériser la littérature radiophonique

Des centaines d’heures d’émissions radiodiffusées au Québec depuis les années 1930 sont maintenant disponibles dans le fonds Institut de recherche sur la littérature radiophonique et télévisuelle. En voici un aperçu.

Histoire du Québec Médias Archives privées
Une personne portant des écouteurs manipule de l’équipement audio et la porte d’une armoire, afin d’émettre un bruit.

Les travaux de Renée Legris et Pierre Pagé

Tous deux professeurs de littérature à l’Université du Québec à Montréal, Renée Legris et Pierre Pagé ont consacré une grande part de leurs travaux à l’étude de la radiophonie au Québec. Reconnaissant la richesse de ce média qui a émergé dans les années 1930, ils ont recensé et réenregistré des centaines d’heures d’archives sonores. Ils ont également réalisé plusieurs heures d’entrevues avec des pionniers de la radio d’ici, des auteurs, des annonceurs, des comédiens et des professeurs, rassemblant ainsi souvenirs et anecdotes sur les débuts du média.

En 1984, en 2012 et en 2019, Renée Legris et Pierre Pagé ont offert leurs précieuses archives à BAnQ. Un long travail de numérisation, de restauration et de description des enregistrements a depuis été entrepris par l’équipe de la numérisation et de l’audiovisuel qui agit comme collaborateur pour le traitement avec les Archives nationales à Montréal. 

À l’époque, à la radio…

Si la programmation radiophonique est davantage connue pour les actualités et la musique qu’elle propose, elle a également permis aux créations littéraires québécoises d’être diffusées, développant ainsi ce que Pagé et Legris appellent une « littérature radiophonique ».

Au départ, ce sont des adaptations d’œuvres étrangères qui sont diffusées, mais la radio inspire bientôt des auteurs canadiens-français à créer des œuvres originales, qui gagnent en popularité auprès des auditeurs au fil du temps. En voici quelques exemples, qui peuvent être consultés dans le fonds d’archives.

Le curé de village, écrit par Robert Choquette, a été le premier feuilleton de longue durée de l’histoire du Québec[note 1]. Il a été diffusé tous les soirs, à partir de 1935, dans des épisodes de 15 minutes sur les ondes de CKAC.

Si plusieurs d’entre nous connaissent bien Un homme et son péché et son célèbre Séraphin, créés pour la radio par Claude-Henri Grignon, peu savent que le personnage de Fridolin, conçu et joué par Gratien Gélinas, a été imaginé pour l’émission Le train de plaisir. Parmi les autres radioromans disponibles pour écoute, on compte Rue Principale d’Édouard Beaudry, ainsi que Les secrets du docteur Morhanges et Vie de famille d’Henry Deyglun. On trouve également les aventures radiodiffusées d’Yvan l’intrépide, écrites pour les enfants par Jean Desprez, nom de plume de Laurette Larocque-Auger. 

L’auteur, animateur et réalisateur Guy Mauffette est également bien représenté dans le fonds d’archives. Son émission Radio-Bigoudi témoigne bien de son style radiophonique unique, mariant poésie et humour, qui a su charmer les auditeurs. Fait intéressant : c’est nul autre que Guy Mauffette qui avait choisi le thème musical du radioroman Un homme et son péché!

Plusieurs autres grands noms de la littérature peuvent aussi être entendus dans ce fonds : Henri Letondal, Marcel Dubé, Louis Morisset, Jovette Bernier ou encore Hubert Aquin, pour n’en nommer que quelques-uns. Des émissions culturelles et éducatives, mais aussi des émissions d’information, de variétés et de sketchs font également partie des trésors déterrés par Renée Legris et Pierre Pagé.

Ce projet de numérisation met en lumière la grande place qu’occupait la littérature à la radio dans les premières décennies de ce nouveau média, à travers des feuilletons radiophoniques, des radiothéâtres, et des séries « féminines », dramatiques, policières et historiques. Les thèmes variés qu’on y abordait – les histoires de famille, la guerre, les histoires à caractère social ou les mélodrames – reflètent bien les préoccupations de l’époque. Fait cocasse : les gens s’identifiaient si bien aux personnages des feuilletons qu’une comédienne aurait reçu, dit-on, des chaussons tricotés par des auditrices pour le poupon qu’elle attendait… dans une émission! 

Soulignons par ailleurs que, à cette époque, les commanditaires entremêlaient des publicités à même le fil narratif des émissions3, et que des idéologies politiques étaient présentées sous forme de feuilletons4.

Les travaux inestimables de Renée Legris et Pierre Pagé permettent non seulement de retracer l’évolution de la radio grâce au recensement des émissions, mais aussi de voir le chemin parcouru par les femmes depuis ces années. 

Un minutieux travail de restauration

Récemment, nos équipes spécialisées de BAnQ ont entrepris de numériser et restaurer les enregistrements audio contenus dans ce fonds d’archives. À l’origine, les enregistrements étaient sur disques acétate : c’étaient les supports utilisés pour la rediffusion des émissions de radio, avant que les stations ne se dotent de lecteurs de bandes magnétiques. Cependant, ces disques sont des supports plutôt fragiles, et le signal qui y est enregistré se dégrade à chaque lecture. Les enregistrements ont donc été transférés sur bandes magnétiques de 1/4 pouce dans les années 1970. Ce que BAnQ a reçu, ce sont les cassettes audio sur lesquelles ont été transférées ces bandes magnétiques. Ces cassettes sont donc des copies de copies des originaux.

Comme les erreurs de lecture et les manipulations inhérentes à chaque support se sont additionnées au fil des transferts, une restauration numérique s’imposait afin d’avoir une écoute qui se rapprocherait le plus possible du signal original. Une suppression de « humm » (bruits électriques de basses fréquences induits par des appareils défectueux ou des câbles mal branchés) a été faite, de même qu’une atténuation ou suppression des « clic » provenant des disques originaux. Tel qu’espéré, le résultat final est similaire à ce que l’on pouvait entendre à l’époque.

Source consultée

 [note 1] Pagé, Pierre, Histoire de la radio au Québec – Information, éducation, culture, Montréal, Fides, 2007 p. 454-455.