Issus de migrations et d’échanges culturels, les nombreux genres musicaux nés autour de la Méditerranée, comme le flamenco et le rébétiko, forment une mosaïque sonore unique. Chaque note raconte une histoire, vibrante de rythmes et de traditions partagées.
Dans cette page
La Méditerranée ne nomme pas seulement une mer mais désigne aussi un espace culturel qui, tour à tour, différencie et entrelace.
Berceau de plusieurs civilisations majeures, la Méditerranée est un carrefour qui favorise les rencontres culturelles, et ce, depuis l’Antiquité. Les musiques méditerranéennes reflètent ces riches échanges.
Pourtant, comme pour l’art et la littérature, il n’existe pas de style musical méditerranéen commun. Les brassages interculturels engendrés par les mouvements migratoires ont façonné aussi bien le flamenco et le rébétiko que les divers instruments dérivés du luth.
Rythmes d’exil
Le flamenco
Bien que l’origine du flamenco soit un mystère, on sait que la tradition de cet art est née de la rencontre entre les cultures tsigane, maure, juive et andalouse en Espagne. Cette musique illustre ainsi une mosaïque culturelle riche et diversifiée.
Originaires de la région du Pendjab, en Inde, les nomades tsiganes (ou roms) arrivent en Europe entre le VIIIe et le Xe siècle. Les communautés installées en Espagne manifestent leur passion et leurs émotions avec le flamenco, notamment par des chants profonds, des danses et des rythmes percussifs. Les cantes racontent souvent des histoires bouleversantes d’amour, de douleur et de lutte. Elles reflètent les défis et les espoirs des communautés marginalisées qui ont contribué à sa création.
Les Maures, qui ont occupé la péninsule ibérique pendant près de 800 ans, ont aussi influencé cette musique, notamment par le système de modes « maqâm », un ensemble de notes et de règles musicales qui crée une mélodie particulière. Certains instruments, comme l’oud (un ancêtre du luth européen), ont influencé le développement des techniques de la guitare flamenca. Le chant arabe a aussi laissé son empreinte.
Le rébétiko
Au XXe siècle, de l’autre côté de la mer Méditerranée, à Athènes, une forme d’expression musicale et culturelle populaire voit le jour : le rébétiko, ou « blues grec ». Issu de vagues migratoires, principalement grecques, au cours de la guerre gréco-turque qui s’est étendue de 1919 à 1922, ce genre emprunte de nombreux éléments aux styles musicaux de la capitale turque, des régions continentales, puis de l’Inde et de l’Amérique latine.
Sous le règne du dictateur grec Ioánnis Metaxás, le rébétiko est censuré et ceux qui le jouent sont persécutés. Dans les années 1950, il évolue pour devenir un genre musical majeur en Grèce, grâce à des artistes comme Vassílis Tsitsánis. Ce dernier introduit le bouzouki, un instrument à cordes pincées qui ressemble à la mandoline etqui joue un rôle central dans la musique grecque traditionnelle et moderne. Le rébétiko se transforme ainsi en laïko, un style plus pop avec des thèmes centrés sur l’amour et la douleur plutôt que sur la marginalité et la rébellion.
Des instruments qui ont voyagé
La musique méditerranéenne est le fruit d’une tradition riche qui a évolué au sein de l’Empire ottoman. Elle a été influencée par les cultures turque, arabe, perse, balkanique et caucasienne. Voici deux instruments qui en sont représentatifs.
Le oud
Le oud, instrument à cordes ancien et emblématique de l’Empire ottoman, trouve ses origines au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il est mis en valeur dans une grande variété de genres, allant de la musique classique sophistiquée des cours royales jusqu’aux pièces populaires évoquant la vie quotidienne, l’amour et la nature. Il occupe également une place centrale dans la musique soufie, qui accompagne les cérémonies spirituelles des derviches tourneurs avec ses mélodies profondes et envoûtantes.
Avec l’expansion de l’Empire ottoman et les échanges commerciaux, le oud s’est implanté dans les Balkans et la région méditerranéenne, influençant les musiques locales et évoluant au contact de nouvelles cultures.
Cet instrument est l’ancêtre direct du luth européen médiéval; il a vu sa forme et ses caractéristiques se modifier pour s’adapter aux traditions musicales locales. Si le oud a joué un rôle dans l’émergence d’instruments de musique modernes comme la guitare classique, on le trouve aussi encore dans sa forme ancestrale.
Le bouzouki
Le bouzouki a des racines grecques, mais il dérive de la famille des luths turcs, comme le saz, le tambûr turc et le bouzouk iranien. Ses origines illustrent bien les influences croisées entre la Grèce, la Turquie et d’autres régions de l’Empire ottoman.
Bien que le bouzouki et le oud diffèrent par leur forme et leur technique de jeu, ils partagent des racines communes dans la tradition des instruments à cordes pincées.
Ces instruments témoignent d’une riche histoire d’échanges culturels et d’adaptations à travers le bassin méditerranéen.
À travers ces voyages, le oud et le bouzouki ont contribué à enrichir la musique des cultures qu’ils ont traversées. Ils témoignent aussi des interactions historiques, commerciales et culturelles des différentes civilisations méditerranéennes.
La musique contemporaine
Les influences des traditions méditerranéennes s’entendent encore aujourd’hui dans de nombreux genres musicaux.
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Sources
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HOLST-WARHAFT, Gail, Aux sources du rebetiko – Chansons des bas-fonds, des prisons et des fumeries de haschisch – Smyrne, Le Pirée, Salonique, 1920-1960, Paris, Les Nuits rouges, 2010, 142, p.
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