Contamination. C’est le mot choisi par l’artiste Danielle Blouin[note 1] pour décrire la présence des reliures de Gabriel Rivard dans la collection de livres anciens de BAnQ. Plusieurs de ses reliures d’art insolites protègent des documents vieux de plus de 200 ans. Survol d’un corpus inusité.
À première vue, il est difficile de croire que les trois livres illustrés ici datent des XVIIIe et XIXe siècles. C’est que leurs reliures ont toutes été faites durant les années 1970 par un employé de la Bibliothèque nationale du Québec, Gabriel Rivard. Comme le raconte Danielle Blouin, c’est un peu par hasard qu’en 1971, lors d’une balade sur la rue Saint-Denis[note 2], Rivard entre à la Bibliothèque nationale (dans l’édifice de la bibliothèque Saint-Sulpice) pour offrir ses services de relieur. Il est engagé, et restera en poste jusqu’en 1976.
Le chef de la section reliure est à l’époque Fernand Longpré, qui commande à Rivard des reliures traditionnelles, mais qui lui permet également de réaliser des créations libres et atypiques. Cette liberté peut aujourd’hui sembler tout à fait étonnante, surtout pour des documents d’une certaine rareté. En effet, plusieurs dizaines de livres, provenant pour la plupart de la collection de la bibliothèque Saint-Sulpice, sont très fragiles. Mais les reliures faites par Rivard, malgré leur excentricité, remplissent sans difficulté leur fonction première : protéger ces documents précieux. Un travail méticuleux d’identification est en cours, qui vise à repérer ces reliures et à ajouter le nom de leur créateur aux notices bibliographiques des ouvrages, ce qui facilitera le travail des chercheuses et chercheurs souhaitant se pencher sur ces œuvres uniques.
Matériaux inusités
D’autres reliures conservées dans la collection de reliures d’art, également réalisées par Rivard alors qu’il travaillait à la Bibliothèque nationale du Québec, sont tout aussi étonnantes. Pour l’ouvrage Écrivains québécois de nouvelle culture, publié par la Bibliothèque nationale du Québec en 1975, Rivard fixe, sur le plat supérieur, un amoncellement de mousse isolante polyuréthane dans laquelle sont incrustées des pâtes alimentaires en forme de lettres.
D’autres éléments quasi sculpturaux sont intégrés dans plusieurs de ses créations, comme dans la reliure du livre Le curé Labelle : sa vie, son œuvre (…). De petits goujons de bois entourent une ouverture à même le plat supérieur qui laisse entrevoir un collage effectué sur la page de garde. Le coffret est quant à lui décoré d’une véritable cordée de bois miniature. Rivard utilise souvent des matériaux inhabituels dans ses reliures, comme du sable ou des pommes de pin. Pour Le Saint-Laurent et ses îles (…), il a encapsulé des fleurs et des herbes séchées dans un grand médaillon ovale placé sur la couverture.
L’originalité de ce relieur s’exprime même dans les détails les plus subtils. Ainsi, on retrouve sa signature à la toute fin des documents, accompagnée de l’année, mais aussi de la saison et, parfois, d’un petit commentaire sur la température du moment.
Pour en apprendre davantage sur l’histoire de la reliure d’art au Québec, consultez l’ouvrage de Danielle Blouin Un art confidentiel : la reliure d’art au Québec, conditions de production et évolution d’une pratique (1900-1990), disponible pour consultation à la Bibliothèque nationale (site Rosemont) ou en ligne.
Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Carnet de la Bibliothèque nationale le 21 mars 2019.