Au début du XXe siècle, les cartes postales truquées (tall-tales) font fureur aux États-Unis. Ces cartes dites « de contes de fées » embellissent la réalité avec des photos exagérées montrant des légumes et des animaux gigantesques. De quoi faire rêver les gens qui envisagent de s’établir en région agricole.

La naissance d’un nouveau moyen de communication
Inventées dans les années 1870, les cartes postales connaissent une période faste en Amérique du Nord dans la première moitié du XXe siècle. Différents éléments contribuent à ce succès[note 1]. Tout d’abord, à la fin des années 1890, l’arrivée des premières automobiles simplifie le service postal aux États-Unis, le rendant par le fait même plus populaire. Celui-ci est d’ailleurs offert gratuitement dans les zones rurales aux alentours de 1902.
C’est à la même époque que le Kodak Brownie fait son apparition : cet appareil photo est à la fois plus abordable et plus simple d’utilisation. Finalement, l’année 1907 voit la naissance des cartes postales « à dos divisé » que l’on connaît aujourd’hui : une image occupe un côté complet et le verso est réservé à l’adresse du destinataire ainsi qu’à un court message. Le fait d’accorder plus d’espace à la photographie contribue à susciter un engouement pour ce moyen de communication.
Les cartes postales constituent une sorte de vitrine touristique, car elles mettent en valeur un lieu géographique[note 2]. C’est ce qui fait naître l’idée d’avoir recours au photomontage pour truquer et embellir la réalité. On fait appel à ce procédé notamment pour les photographies représentant des régions rurales, car on ressent le besoin de faire miroiter l’abondance des récoltes pour stimuler la colonisation.
L’invention des « tall-tales postcards »
C’est en 1908 que William H. Martin (1865-1940), photographe du Kansas, aux États-Unis, invente les « tall-tales postcards[note 3] » (cartes postales de contes de fées), dont les images truquées mettent l’accent sur certains éléments en les présentant de manière surdimensionnée. Le principe de la « tall-tale postcard » est le suivant : on prend d’abord une première photographie d’un paysage, puis une deuxième qui montre certains éléments en gros plan. La deuxième photographie est ensuite découpée et collée par-dessus la première. Finalement, le résultat obtenu, soit les deux photographies juxtaposées, est à nouveau photographié[note 4].
Cette nouvelle forme d’art rencontre énormément de succès et est bientôt reprise par d’autres photographes américains. Alfred Stanley Johnson Jr. (1863-1932) est l’un d’entre eux; le niveau d’expertise qu’il développe en fait un maître incontesté du genre. Il est reconnu pour avoir donné des titres humoristiques à ses créations, pour avoir utilisé des membres de sa famille comme modèles et pour avoir eu l’idée d’associer une même image à différents noms de villes ou de villages, faisant ainsi le bonheur d’un plus grand nombre de consommateurs. Il aime utiliser l’expression « How we do things at… » (« Comment nous faisons les choses à… »), suivie du nom d’un lieu[note 5].
De nombreux autres photographes ont réalisé des « tall-tales postcards », sans jamais parvenir à la même qualité de montage. Bien des années après l’âge d’or des cartes postales de contes de fées, Frank D. Conard est parvenu à remettre le genre au goût du jour.
Ce photographe est connu pour ses cartes postales montrant des sauterelles géantes – une idée qu’il aurait eue lors d’une invasion de sauterelles en 1935. Ce concept lui a valu une certaine renommée[note 6].
Finalement, un autre exemple du genre vient du Texas. En plus du lièvre local en version surdimensionnée, on trouve sur bon nombre de « tall-tales postcards » le « jackalope ». Cet animal fictif, un croisement entre le lièvre et l’antilope, a alimenté bien des légendes dans cet État américain. Il continue encore aujourd’hui à inspirer les créateurs de cartes postales[note 7].
Pourquoi des « tall-tales postcards »?
Les cartes postales de contes de fées permettaient en quelque sorte de dédramatiser la situation difficile des agriculteurs américains. En effet, ceux-ci exerçaient un métier physique nécessitant de longues heures de dur labeur, et dont les résultats étaient largement tributaires de la météo. Les récoltes étaient souvent décevantes, et le spectre de la famine n’était jamais loin. Les cartes postales insistaient sur l’importance de leur rôle et mettaient en valeur leurs produits.
Les titres et les mises en scène contribuaient aussi de manière rigolote au mythe de la prospérité. Ce type de cartes postales a connu un succès retentissant dans les Grandes Plaines (centre-ouest des États-Unis et du Canada)[note 8].
La fin du conte de fées
Au cours de la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont interdit l’importation de cartes postales en provenance de l’Allemagne. Or, ce pays en était alors un important producteur. Cette décision a entraîné une baisse importante de l’utilisation de ce moyen de communication. Par la suite, les cartes postales ont perdu beaucoup d’adeptes avec le développement de nouvelles technologies comme le téléphone. Le style des cartes postales a également évolué au fil des décennies : les deux guerres mondiales ont notamment contribué à éradiquer le mythe d’abondance véhiculé par les « tall-tales postcards ». Celles-ci ont progressivement disparu dans la seconde moitié du XXe siècle[note 9].
Et au Québec?
Selon nos recherches, il n’y a pas eu de créateurs de cartes postales de contes de fées au Québec. Cependant, BAnQ détient dans ses collections plusieurs « tall-tales postcards » de la Canadian Postcard Co. Des noms de villes canadiennes, dont Montréal, ont été utilisés pour mousser les ventes de cartes postales à ces endroits. Des paysages canadiens ont également été utilisés pour illustrer des cartes postales truquées.
Consultez la collection de cartes postales de BAnQ
Sources consultées
[note 1] Wisconsin Historical Society, Tall-Tale Postcards: Larger than life images of animals and produce, https://www.wisconsinhistory.org/Records/Article/CS364 (consulté le 20 décembre 2024).
[note 2] Wisconsin Historical Society, Tall-Tale Postcards: Larger than life images of animals and produce, https://www.wisconsinhistory.org/Records/Article/CS364 (consulté le 20 décembre 2024).
[note 3] Alain Weil, Photomontages improbables : tall-tale postcards américaines du début du XXe siècle, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2011.
[note 4] Wisconsin Historical Society, Tall-Tale Postcards: Larger than life images of animals and produce, https://www.wisconsinhistory.org/Records/Article/CS364 (consulté le 20 décembre 2024).
[note 5] Alain Weil, Photomontages improbables : tall-tale postcards américaines du début du XXe siècle, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2011.
[note 6] Alain Weil, Photomontages improbables : tall-tale postcards américaines du début du XXe siècle, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2011.
[note 7] Alain Weil, Photomontages improbables : tall-tale postcards américaines du début du XXe siècle, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2011.
[note 8] Wikipédia, « Carte postale d’exagération » (dernière modification le 1er décembre 2024), https://en.wikipedia.org/wiki/Exaggeration_postcard.
[note 9] Wisconsin Historical Society, Tall-Tale Postcards: Larger than life images of animals and produce, https://www.wisconsinhistory.org/Records/Article/CS364 (consulté le 20 décembre 2024).