Au début des années 1930, l’École moyenne d’agriculture de Rimouski et le gouvernement du Québec innovent afin de répondre à un besoin de main-d’œuvre en agriculture. Des institutrices sont alors formées pour offrir un enseignement destiné aux enfants d’agriculteurs.
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Au lendemain de la crise économique du début des années 1930, le gouvernement adopte divers plans encourageant un retour à la terre. Dans la foulée, Mgr Georges Courchesne, évêque du diocèse de Rimouski, propose une idée inédite au ministre de l’Agriculture, l’agronome et futur premier ministre Adélard Godbout[1].
Mgr Courchesne souhaite faire instruire les filles de cultivateurs provenant de toutes les régions du Bas-Saint-Laurent à l’École moyenne d’agriculture de Rimouski, afin qu’elles soient en mesure de mieux « seconder » leur père ou leur futur époux dans les tâches agricoles.
Bien que l’idée plaise à Godbout, ce dernier suggère une autre idée après en avoir discuté avec son collègue du Secrétariat de la Province, Athanase David. Souhaitant impliquer davantage l’État dans l’instruction publique, les deux hommes proposent plutôt de former les institutrices des écoles de rang sur deux ans, pendant les mois de juillet et d’août, afin qu’elles puissent à leur tour transmettre leurs connaissances aux garçons et aux filles de leurs paroisses respectives.
Godbout écrit à Mgr Courchesne : « Je serais heureux que l’École d’Agriculture fût disposée à tenter un essai de cette méthode d’enseignement sur ces bases, car je songe depuis longtemps à encourager, par une meilleure préparation de nos institutrices à la tâche de l’éducation rurale, un retour complet de tous les cœurs à la terre. »
Le ministère de l’Agriculture et le Secrétariat de la Province offrent chacun une subvention de 1000 dollars, et la congrégation des Sœurs du Saint-Rosaire assure la direction, le logis et les cours ménagers pour les institutrices à Rimouski.
Les 55 élèves de la cohorte de 1935-1936 (45 laïques et 10 religieuses) sont saluées pour leur ardeur et leur dévouement, elles qui n’ont généralement que ces deux mois pour prendre des vacances avant de commencer une nouvelle année scolaire, et qui doivent composer avec les rigueurs des écoles de rang[2].
Une initiative qui intrigue
Plusieurs paroisses du Québec sont intriguées par cette initiative. Les lettres d’un peu partout adressées à l’abbé Pierre Saindon, directeur de l’École d’agriculture, le montrent bien. D’autres actions semblables se multiplient ensuite dans la province, entre autres à Mont-Laurier, à Sainte-Martine, à Oka et aux Îles-de-la-Madeleine.
Le programme ambitieux des cours trouvé dans le fonds d’archives de l’École moyenne de l’Agriculture de Rimouski (P61) dévoile les techniques que les institutrices doivent apprendre pour ensuite les enseigner dans leurs écoles de rang du Bas-Saint-Laurent et d’une partie de la Gaspésie. Les cours sont donnés par des enseignants et enseignantes de renommée, comme Ernest Lepage, un grand botaniste. La matière va de l’art ménager aux techniques agricoles modernes (grande culture, zootechnie, chimie des engrais, etc.).
L’élection d’un gouvernement de l’Union nationale, en 1936, ainsi que des querelles interministérielles viennent réduire les subventions à ce programme à partir de l’été 1937. On demande même aux institutrices de la cohorte de 1937-1938 de payer une plus grande part de leurs cours, comme le souligne un article du journal Le Progrès du Golfe. Ironiquement, dans le même numéro de ce journal, en première page, un chroniqueur mentionne à quel point les institutrices ont un salaire de famine[3]. La Fédération catholique des institutrices rurales voit d’ailleurs le jour la même année, afin d’améliorer les conditions de travail de ses membres.
Fin du projet
L’École moyenne d’agriculture de Rimouski n’est pas en mesure de payer ce programme par elle-même après la cohorte de 1937-1938. Elle doit mettre fin aux cours des institutrices des écoles de rang malgré tous les efforts investis. Au total, près d’une centaine d’enseignantes ont été formées pendant ces quatre années.
Durant le premier congrès de l’enseignement agricole, organisé à Québec par le ministère de l’Agriculture en octobre 1937, l’inspecteur régional des écoles Paul Hubert résume bien la réalité des institutrices dans les écoles de rang et les contraintes de ce projet trop audacieux pour ses moyens :
« Imaginez-vous bien une petite fille qui n’a pas encore 17 ans; j’en ai vu cet automne. Elle a à diriger quarante élèves jusqu’à la sixième année inclusivement. Imaginez-vous bien, agronomes, techniciens, professeurs d’écoles d’agriculture, le travail qu’elle a à faire pour enseigner, à elle seule, un programme qui doit être enseigné par 6 ou 7 professeurs dans les écoles de ville. Il faut qu’elle voie toute la matière qui est au programme quand, par-dessus le marché, elle enseigne de l’agriculture, ce qu’on ne fait pas dans les villes[4]. »
L'École moyenne d’agriculture de Rimouski ferme définitivement ses portes en 1969, à la suite de réformes de l’enseignement au Québec.
Pour en savoir plus :
BAnQ conserve aux Archives nationales à Rimouski de précieux fonds d’archives sur l’histoire de l’enseignement au Québec sur plus de 100 ans, notamment un collectif de fonds du Séminaire de Saint-Germain-de-Rimouski (P60), dont faisait partie l’École moyenne d’agriculture (P61), et le fonds de la congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire (P1001).
DUFOUR, André et Micheline DUMONT, Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours, Boréal, 2004, 219 p.
Références :
[1] Adélard Godbout a aussi étudié au séminaire de Rimouski, son alma mater. Il a été finissant en 1913. C’est sous son gouvernement qu’a été créée la Loi sur l’instruction obligatoire, en 1943.
[2] Jacques Dorion, Les écoles de rang au Québec, Les Éditions de l’Homme, 1979, 428 p.
[3] Les institutrices religieuses avaient un salaire encore plus bas, selon les correspondances des missions d’enseignement contenues dans le fonds de la congrégation des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire (P1001).
[4] Ministère de l’Agriculture de la province de Québec, Rapport du premier congrès de l’enseignement agricole, tenu à Québec, les 18, 19 et 20 octobre 1937, p. 239.
Cet article est une version révisée d’un texte publié dans le blogue Instantanés de BAnQ le 18 décembre 2019, sous le titre « École de filles en agriculture, un ʺLab-Écoleʺ des années 1930 ».