Clémence DesRochers
Clémence DesRochers, 23 septembre 1993. Archives nationales à Montréal, fonds La Presse (P833, S5, D1993-0269). Photo : Robert Mailloux.

Clémence première!

Clémence DesRochers est l’une des artistes chéries du Québec. Savourons quelques premières dans la vie de cette créatrice d’exception qui a touché à presque tout : chanson, poésie, théâtre, monologue, comédie musicale, cinéma, télévision, dessin...

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Premières années

Clémence DesRochers est née à Sherbrooke en 1933. Fille du poète Alfred DesRochers, elle est l’une des plus jeunes d’une famille de sept enfants. Sur cette photographie captée en 1944, on la reconnaît à sa blondeur. Elle a 11 ans. Remarquez le décor industriel.

La famille Alfred DesRochers devant la Dominion Textile Limited, rue du Pacifique à Sherbrooke, vers 1944. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Alfred DesRochers (P6). Photographe non identifié.
Clémence est la troisième à partir de la gauche.

Les premières années, la famille DesRochers habite sur la petite rue George, tout près de la rivière Magog. En 1940, la famille déménage sur la rue Pacifique, de l’autre côté de la rivière. La rue s’appelle ainsi parce qu’elle longe l’imposante gare ferroviaire du Canadien Pacifique. C’est un quartier ouvrier. En face de la maison familiale se dressent la Dominion Textile et la Canadian Silk. La première est une mégafilature de coton; la seconde, une manufacture de bas de soie.

M. A. Fuller, Sherbrooke, Que., Sherbrooke, s. é., 1929.
Le père de Clémence DesRochers, Alfred, et sa mère, Rose-Alma, en compagnie du poète Roger Brien, sur la rue Pacifique, vers 1945. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Alfred DesRochers (P6). Photographe non identifié.

Le regard que Clémence porte sur le monde et les êtres qui l’habitent doit sans doute beaucoup à sa jeunesse sur la rue Pacifique. Dès 1957, le sketch humoristique Rue Pacifique lui vaut le premier prix dans un concours.

Toutefois, l’histoire retiendra surtout la chanson La vie d’factrie qui donne la parole, entre résignation et lucidité, à une ouvrière de l’industrie textile. Une industrie où les femmes gagnaient les salaires parmi les moins élevés au Québec. Selon la biographe de Clémence, Hélène Pedneault, c’est « un des plus beaux poèmes chantés de notre littérature ».

Première inspiration

De ses années d’école, Clémence a conclu : « J’avais deux matières fortes, la récréation et le français. » Cette enfant timide fréquente la petite bibliothèque de l’école. Elle est aussi attirée par le théâtre. Ses premières prestations ont lieu dans la rue, dans la cour de la maison familiale, à l’école et à la salle paroissiale.

À sept ans, elle prend la résolution de devenir comédienne après avoir vu Juliette Béliveau en spectacle. C’était au sous-sol de la salle paroissiale, ce que confirme une publicité parue en 1941 dans les pages de La Tribune, le quotidien pour lequel papa Alfred travaillait.

Théâtre national, Juliette Béliveau, programme de spectacle, Montréal, Théâtre national, 26 janvier 1930.
Publicité, La Tribune, jeudi 10 avril 1941, p. 7.

En 1979, elle publie dans un programme de spectacle un beau texte intitulé J’aime les acteurs. Clémence y raconte qu’elle avait croisé Juliette Béliveau sur le perron de l’église. Celle-ci lui avait prodigué ce conseil : « Si vous n’êtes pas trop timide, passez donc dire aux acteurs que vous les aimez! »

Premiers rôles

Au début des années 1950, Clémence arrive à Montréal à 17 ans. Elle enseigne pendant une courte période dans une école du quartier Côte-des-Neiges. Elle écrit à son père : « Mon rêve à moi, mon grand rêve que j’ai rêvé toute ma vie […], c’est de devenir actrice un jour. Mais dis-le pas à personne papa, parce qu’ils riraient de moi. »

Extrait d’une lettre à son père, Alfred DesRochers, 1950. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Alfred DesRochers, (P6).

Clémence s’inscrit au Conservatoire d’art dramatique, étudie l’art du mime et joue à La Roulotte de Paul Buissonneau pendant deux étés, en 1954 et 1955. Sur cette photographie, on la voit costumée en clown, dans ce fabuleux théâtre ambulant qui allait de parc en parc à la rencontre des enfants montréalais.

Paul Buissonneau et Clémence DesRochers au Théâtre de la Roulotte, été 1954 ou 1955. Archives nationales à Montréal, fonds Hélène Pedneault (MSS456), Photo : Camille Casavant.

Premières apparitions télé

Comme le voulait l’usage à la fin des années 1950, Clémence fait la tournée des locaux de Radio-Canada pour proposer ses services. Le grand public va faire sa connaissance dans plusieurs téléséries, téléthéâtres et émissions jeunesse. On la voit ici sur le plateau de l’émission jeunesse Hebdo-Vacances à l’été 1957, en compagnie du coanimateur Richard Pérusse. Actualités, nouvelles sportives et dessins animés sont au menu.

Le Canadien, Thetford Mines, mercredi 14 août 1957, p. 5.

Premier numéro de cabaret

En 1956, dans une lettre à son père, Clémence écrit : « Maman t’a sans doute dit que je travaille sur des numéros pour un cabaret. » Une autre percée se prépare du côté de la scène.

1er novembre 1957. Clémence aura bientôt 24 ans. L’ère des cabarets bat son plein à Montréal, du Beu qui rit au Casa Loma. Pour Clémence, ça se joue au Saint-Germain-des-Prés pendant 10 semaines. C’est une petite salle de 125 places au 1300, rue Saint-Urbain, vis-à-vis de l’actuel Théâtre du Nouveau Monde.

Le populaire humoriste et bonimenteur Jacques Normand l’invite à faire partie de la distribution de son spectacle et la surnomme Démence Desclochers, « la couventine du music-hall ». L’humoriste partage l’affiche avec Pauline Julien, de retour de Paris, l’artiste parisien Raoul « le garçon de café chantant » et Normand Hudon, qui dessine aussi l’affiche et les publicités du spectacle.

C’est là que Clémence commence à réinventer le monologue social, 20 ans après les premières Fridolinades de Gratien Gélinas.

Détail de Normand Hudon, Jacques Normand présente, au Saint-Germain-des-Prés, affiche, Montréal, Saint-Germain-des-Prés, vers 1957.

Premiers disques, boîtes à chansons et comédie musicale

Dans la foulée de son succès au Saint-Germain-des-Prés, les premiers disques de Clémence ont paru en 1958, sur 45 et 78 tours. On y trouve notamment la chanson L'enfant de Marie et le monologue Ce que toute jeune débutante doit savoir qui raconte ses débuts à Radio-Canada. Il faudra attendre 1962 pour qu’apparaisse son premier 33 tours solo où figure notamment la chanson La vie d’factrie.

Clémence va bientôt participer à la formidable vague des boîtes à chansons. En mai 1959, elle est du fameux collectif de chansonniers Les Bozos qui fonde une des premières boîtes à chansons montréalaises, rue Crescent. Entre 1964 et 1971, elle va même en créer trois : la Boîte à Clémence, à Longueuil, la deuxième Boîte à Clémence, place Jacques-Cartier à Montréal, puis le Patriote à Clémence, rue Sainte-Catherine Est, à l’étage du fameux Patriote, le « temple de la chanson québécoise ».

Clémence signe en 1964 les textes de la première comédie musicale francophone présentée à Montréal[1], Le vol rose du flamant. Le spectacle est présenté à la Comédie-Canadienne, sur une musique de Pierre F. Brault et une mise en scène d’Albert Millaire. Ce sera aussi la première comédie musicale québécoise diffusée sur disque.

Détail de Les Productions Deschamps-Lelarge inc. présentent Le vol rose du flamant…, affiche, Montréal, Productions Deschamps-Lelarge, 1964.

Rire et critique sociale

L’historien de l’humour Robert Aird l’affirme : les textes incisifs de Clémence DesRochers dressent le portrait de Québécois exploités et colonisés[2]. En rafale, entre 1965 et 1971, elle crée cinq revues. Le succès populaire sera au rendez-vous pour Les Girls (1969), une création collective avec ses complices Paule Bayard, Diane Dufresne, Louise Latraverse et Chantal Renaud. Sur scène, comme dans les médias, le ton est à l’émancipation et à la prise de parole décomplexée, voire provocante.

Débute ensuite une longue série de spectacles solo. On se souvient de son monologue sur l’Année de la femme en 1975, la fameuse « A. de la F. » et des rires complices suscités par des spectacles comme J’ai show, à l’Outremont en 1989 ou De retour après la [méno]pause au Monument-National en 1993. Clémence a offert sa dernière prestation sur scène en avril 2017, à l’âge de 83 ans.

Détail de J’ai show! Clémence, affiche, Québec, s. é., 1989.

Plusieurs l’affirment : Clémence est une précurseure dans le domaine de l’humour et du féminisme. Elle puise dans son quotidien, crée de multiples personnages caricaturaux et orchestre une contestation subtile, mais terriblement efficace, de la société. Elle a aussi amusé les enfants avec le fabuleux personnage télévisuel de Mademoiselle Sainte-Bénite dans Grujot et Délicat.

Dès ses premiers monologues et chansons, Clémence met en lumière la condition des femmes. Ses portraits de femmes, écrits et dits avec des mots de femme, se conjuguent entre tendresse et ironie. Plusieurs humoristes québécois revendiquent aujourd’hui, avec attachement, leur filiation à Clémence.

Une soirée-bénéfice en l’honneur de Clémence

Le 6 juin 2022, à l’invitation de la Fondation de BAnQ, quelque 200 personnes ont convergé vers la Grande Bibliothèque pour assister à la soirée-bénéfice Nous, c’est Clémence qu’on aime le mieux. Cette célébration de la grande Clémence était doublée d’une collecte de fonds pour les activités de BAnQ soutenues par la Fondation.

Ce n’était certes pas le premier hommage rendu à notre chère Clémence. Mais cette fois-ci, plusieurs artistes et un imposant contingent de documents publiés et de documents d’archives s’étaient invités à la fête. Des artistes tels Tire le coyote, Marina Orsini, Fanny Bloom et Chantal Lamarre ont fait vibrer les invités.

Clémence était dans la salle elle aussi, avec sa complice Louise Collette. Le bonheur de dire, de lire, de chanter était palpable. Vous pouvez visionner des instants de cette soirée sur le site de la Fondation de BAnQ.

Accédez au site de la Fondation de BAnQ

Pour aller plus loin

Fonds d’archives de Clémence DesRochers

  • Fonds contenant notamment 72 carnets de Clémence DesRochers écrits entre 1975 et 2006, dans lesquels on trouve des monologues, des poèmes, des chansons et des notes de voyage.

Capsule de la Ligne du temps du Québec sur Alfred DesRochers

 

Sources consultées

[1] Le titre de première comédie musicale québécoise en français lui a été ravi quelques mois plus tôt par Le doux temps des amours, au Théâtre de la Marjolaine, à Eastman.

[2] Robert Aird, Histoire politique du comique au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2010, p. 174-176.