Le classement des films, reflet de la société

Général, 13 ans et plus, 16 ans et plus... Connaissez-vous l’origine de ces indications sur les affiches de films? Saviez-vous qu’au Québec le classement des films est revu régulièrement en fonction de l’évolution de la société? Pour tout savoir sur le sujet, poursuivez votre lecture!

Cinéma
Quatre personnes tiennent des affiches indiquant les classements de films : G, 13+, 16+ et 18+.

Au commencement était la censure

Plutôt qu’un système de classement, le Québec d’avant la Révolution tranquille applique la censure. Il faut dire qu’à l’époque l’influence de l’Église est majeure. Ainsi, entre 1913 et 1967, 6000 œuvres cinématographiques sont amputées de scènes jugées trop osées, trop violentes ou contraires à la moralité publique par le Bureau de censure des vues animées[note 1]. En 1967, l’adoption de la Loi sur le cinéma met fin à la censure. C’est ainsi que débute le classement des films par groupes d’âge. Le but est double : protéger la jeunesse, mais également « assurer l’accès le plus large possible aux œuvres cinématographiques[note 2] ». À partir de 1983, c’est la Régie du cinéma qui s’occupe du classement. En 2015, la Direction du classement des films, attachée au ministère de la Culture et des Communications, remplace la Régie.

L’art difficile du classement

Le classement utilisé au Québec comporte quatre niveaux : Général, 13 ans et plus, 16 ans et plus, 18 ans et plus. Des indications supplémentaires peuvent être ajoutées : Déconseillé aux jeunes enfants, Langage vulgaire, Violence, Érotisme, Horreur, Sexualité explicite. 

L’évaluation des examinateurs-classificateurs porte sur les effets que le film pourrait avoir sur les jeunes spectateurs[note 3]. On souhaite éviter d’exposer des personnes trop jeunes ou trop immatures à des images traumatisantes. Ces évaluations sont faites en fonction des « valeurs de la société québécoise[note 4] ».

La violence et la sexualité, évidemment, sont particulièrement observées. Mais d’autres sujets difficiles, comme le suicide, la drogue et l’inceste, sont aussi scrutés. La manière dont sont traités ces thèmes est capitale dans la réception du film. Les intentions du cinéaste, le montage, la durée des passages problématiques, la part de réalisme, la possibilité d’identification des jeunes[note 5] : tous ces éléments sont pris en considération pour déterminer le public auquel le film peut s’adresser. 

Les trois types de révision

Le classement d’un film au moment de sa sortie n’est pas définitif. Trois types de révision peuvent être réalisés. 

D’abord, le classement peut être modifié à la suite de plaintes reçues par la Régie du cinéma ou le ministère de la Culture et des Communications après la sortie du film en salle. C’est ce qui est arrivé aux films Casino (Martin Scorsese, 1994) et Seven (David Fincher, 1995). Après révision, la Régie du cinéma a décidé de remplacer le classement 13 ans et plus de ces deux films par l’indication 16 ans et plus, « en raison du climat de violence extrême[note 6] ».

Deuxièmement, la révision peut être demandée par le distributeur du film s’il est en désaccord avec le classement établi[note 7]. Après avoir entendu son argument, les examinateurs réévaluent le film et peuvent modifier ou non le classement.

Kids (Larry Clark, 1995), Noémie dit oui (Geneviève Albert, 2022) et La déesse des mouches à feu (Anaïs Barbeau-Lavalette, 2021), trois  films aux images dures et portant sur des adolescents livrés à eux-mêmes, ont reçu le classement 16 ans et plus à leur sortie. Les distributeurs ont contesté cette décision. Pour eux, la Régie du cinéma, ou la Direction du classement des films, n’avait pas pris en compte la valeur éducative des films, qui mettaient les adolescents en garde contre certains dangers comme la drogue, la prostitution et la violence, et qui devaient donc être vus par des jeunes à partir de 13 ans.

Pour deux des films, l’argument n’a pas convaincu. « Dans Kids, l’absence d’espoir, d’humour, d’éléments positifs empêche la distanciation nécessaire[note 8]. » En ce qui concerne Noémie dit oui, « [les] intentions pédagogiques louables de l’œuvre ne sauraient diminuer l’impact des images sur les adolescents de moins de 18 ans[note 9] ». Les examinateurs ont toutefois accepté de réévaluer le film d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Après réflexion, ils ont conclu que le propos du film La déesse des mouches à feu pouvait en effet « servir de déclencheur pour les jeunes et pour les adultes qui souhaitent amorcer un dialogue franc sur ces thèmes[note 10] ». Le film a ainsi obtenu le classement 13 ans et plus.

Le troisième type de révision est celui qu’effectuent régulièrement les examinateurs « afin de correspondre au consensus social[note 11] ». Le recul, l’évolution de la société et de son rapport aux images, l’influence du film et une meilleure compréhension de l’œuvre des cinéastes peuvent modifier la réception des films, et donc leur classement. 

La société change, le classement des films aussi

Voici quelques exemples d’œuvres réévaluées par la Direction du classement des films et qui témoignent de l’évolution de la réception au fil du temps. 

Le classement du film Le silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991) a fait l’objet de changements successifs qui montrent bien l’évolution, en 30 ans, de la réception des scènes violentes et des images fortes. Il est passé de 18 ans et plus à 16 ans et plus en 2003, puis à 13 ans et plus en 2023[note 12]. Les scènes d’autopsie, les dialogues explicites et le personnage joué par Anthony Hopkins (un tueur en série cannibale) impressionnaient bien plus en 1991 qu’ils ne le faisaient en 2023. Le film et son esthétique sont devenus des modèles du genre, et ce type d’images s’est depuis fortement banalisé. 

Le silence des agneaux

Comme pour la violence à l’écran, l’effet de certaines images qu’on a voulues provocantes ou subversives diminue avec le temps. Sortis au milieu des années 1990, les films Trainspotting (Danny Boyle, 1995), Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1995) et Fargo (Joel et Ethan Coen, 1995), qui mêlent violence et humour noir, ont été classés 16 ans et plus en 1996. En 2023, la Direction du classement des films a conclu que les jeunes de 13 ans ont la maturité nécessaire pour apprécier « le second degré indispensable à la réception de certaines scènes[note 13] ». Enfin, le film culte belge C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992) a vu son classement passer de 18 ans et plus à 16 ans et plus, en raison de « la distanciation induite par le noir et blanc ainsi que [du] ton résolument parodique[note 14] ». 

Outre la violence et le sexe, certains sujets qui étaient plus sensibles auparavant, comme la maladie mentale ou l’homosexualité, sont aujourd’hui mieux reçus. Un homme d’exception (Ron Howard, 2001) et Fucking Amal (Lukas Moodysson, 1998) ont ainsi obtenu un classement moins restrictif qu’à leur sortie.

Si de nombreux films sont réévalués plusieurs années après leur première diffusion, il peut arriver que d’autres le soient beaucoup plus rapidement. Par exemple, Gina (Denys Arcand, 1975) a été classé 18 ans et plus à sa sortie, en raison notamment de la scène montrant le viol de l’héroïne. Seulement une dizaine de jours après cette première évaluation, la Régie du cinéma a réévalué le film et décrété qu’il pouvait être vu dès l’âge de 14 ans. Justifiant cette décision par « l’absence de complaisance de la scène[note 15] », la Régie a également admis que le classement initial était sans doute exagéré et pouvait être perçu comme « une sorte de censure politique[note 16] ». N’oublions pas qu’à l’époque Denys Arcand n’avait pas le même statut qu’aujourd’hui. Son documentaire On est au coton (1970) avait d’ailleurs été interdit.

Gina

Parmi les films qui, aujourd’hui, se voient attribuer les cotes 16 ans et plus ou 18 ans et plus, certains pourront sans doute être vus par un public plus jeune d’ici une vingtaine d’années. Qu’est-ce qui est jugé trop troublant pour les jeunes des années 2020 et qui deviendra socialement acceptable dans les prochaines décennies? C’est à voir… 

Notes

Note 1 : CASSIVI, Marc, « Petite histoire de la censure », La Presse, 1er mars 2008.

Note 2 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Classement des films – Processus », Cinéma et audiovisuel.

Note 3 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Critères de classement », Répertoire des films classés.

Note 4 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Critères de classement », Répertoire des films classés.

Note 5 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Critères de classement », Répertoire des films classés.

Note 6 : « Décision de la Régie du cinéma relativement au classement du film Casino », Régie du cinéma du Québec, 28 novembre 1995.

Note 7 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Décisions et révisions de classement », Répertoire des films classés.

Note 8 : « Décision de la Régie du cinéma relativement à une demande de révision du classement attribué au film Kids », Régie du cinéma du Québec, 3 août 1995. 

Note 9 : « Décision du comité de révision relative à la demande de révision du classement du film Noémie dut oui », Régie du cinéma du Québec, 14 avril 2022.

Note 10 : « Décision du comité de révision relative à la demande de révision du classement du film La déesse des mouches à feu », Régie du cinéma du Québec, 17 septembre 2020.

Note 11 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Critères de classement », Répertoire des films classés.

Note 12 : Ministère de la Culture et des Communications du Québ.ec, « Le silence des agneaux », Répertoire des films classés

Note 13 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Fargo », Répertoire des films classés.

Note 14 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « C'est arrivé près de chez vous », Répertoire des films classés

Note 15 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Gina », Répertoire des films classés.

Note 16 : Ministère de la Culture et des Communications du Québec, « Gina », Répertoire des films classés.